Anarchisme et non-violence -2 -
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Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Guillaume Gamblin
La lutte fut notre célébration, Pepe Beunza
Entretien avec Pepe Beunza

Pepe Beunza [1], le livre « Portrait d’un insoumis » relate ton expérience de la désobéissance civile au service militaire sous Franco et tes deux ans de prison et 15 mois de bataillon disciplinaire dans le Sahara de 1971 à 1974. De l’eau est passée sous les ponts. Plus de trente ans plus tard, à l’heure où le service militaire a été complètement abandonné en Espagne, quel est l’intérêt selon toi de faire connaître cette histoire d’insoumission ?

Les jeunes pensent que la disparition du service obligatoire a été gratuite mais, en réalité, elle est le résultat de nombreux efforts et sacrifices. C’est pour cela qu’il faut expliquer aux jeunes générations ce que fut le service militaire obligatoire et ce que fut la lutte contre celui-ci. Et cela, pour deux raisons : la première est qu’aucune conquête sociale n’est éternelle. La lutte sociale est dynamique, elle n’est jamais stable. Pour ne pas reculer, il nous faut continuer à lutter pour le désarmement, contre le militarisme, contre la violence. Car un coup d’Etat peut toujours arriver et les jeunes devront alors de nouveau marcher au pas de l’oie sans avoir eu le temps de comprendre…Si nous ne poursuivons pas la lutte, nous pouvons régresser. Les jeunes doivent savoir que l’on ne peut pas être tranquille, qu’il ne peut y avoir de conquêtes sociales éternelles. C’est pourquoi il nous faut éternellement lutter.

La seconde raison : la lutte contre le service militaire a connu une destinée extraordinaire. Et les luttes sociales qui se terminent bien doivent servir de stimulants pour donner de la force aux gens, pour expliquer que les lois peuvent être changées par la lutte non-violente [2]. Il faut se souvenir et étudier les manifestations, les doutes, les sacrifices qui ont été faits, la répression, tout cela, pour apprendre à lutter. Pour nous, il est important d’expliquer cela : ce n’est pas par nostalgie mais pour le futur.

(Marche en 1971 pour libérer Pepe Beunza)

L’objection de conscience et l’insoumission en Espagne furent l’expression d’une philosophie non-violente et anti-militariste, mais quelle a été également la part de l’antifranquisme d’une part, et de l’autonomisme anti-espagnol (en Catalogne, au Pays Basque,…) d’autre part ?

Nous pouvons dire qu’en Catalogne et au Pays Basque, l’armée était une armée franquiste d’invasion. Et à la non-violence s’est jointe la lutte contre l’envahisseur. C’était donc plus large, en effet. La lutte anti-franquiste animait également notre lutte non-violente mais, nous autres avons ouvert un autre chemin, dans une époque où les anti-franquistes recommandaient d’aller faire le service militaire pour s’entraîner à la lutte armée. Il y avait le mythe du Che Guevara. Nous autres, c’est influencés par les non-violents français que nous avons vu le chemin que nous devions prendre. C’est là la différence. La gauche anti-franquiste nous respectait et nous critiquait à la fois car ils n’étaient pas d’accord avec notre forme de lutte. Ils étaient militaristes, nous étions non-violents.

Quand arriva l’insoumission, il y eut une plus forte convergence entre les luttes de gauche. Mais avant cela, le climat était à la critique. En prison, j’avais néanmoins de bonnes relations avec les autres prisonniers politiques, nous discutions beaucoup, j’ai beaucoup appris, c’était merveilleux. Ce contexte empêchait de s’enfermer dans une attitude dogmatique. J’ai côtoyé des gens d’une grande valeur humaine, avec une capacité de lutte extraordinaire. En prison je me suis beaucoup formé.

C’était l’une des premières fois qu’apparaissait sur la scène politique espagnole le thème de la non-violence, la référence à cette nouvelle manière de lutter ?

A cette époque il y avait également la lutte de Lluis Xirinacs en Catalogne , celle de Gonzalo Arias [3] à Madrid . Nous étions tous coordonnés, nous nous connaissions. C’est un mouvement qui en était à son commencement.

Manifestation internationale au Vatican pour les objecteurs espagnols

Nous avons sous les yeux un article de presse paru dans « la Vanguardia » le 12 mai 2002. Il a une grande importance pour toi. Pourquoi ?

Cet article date du jour où le Parlement a voté la suppression du délit d’insoumission. Parce que se terminait le service obligatoire. C’est très important car cela mit fin à trente-et-une années de lutte : de 1971 à 2002. Il est écrit dans l’article que « Tous les groupes politiques en ont profité pour rendre hommage aux premiers objecteurs et insoumis, parmi lesquels le premier, le valencien établi en Catalogne, Pepe Beunza ». Entre 1971 et ce jour-là, il y a eu un retournement spectaculaire. De mon entrée en désobéissance civile, inconnu et méprisé par le pouvoir, à un hommage rendu au Parlement espagnol par tous les groupes politiques réunis !

Trente-et-une années de lutte : plus de mille ans de prison, plus d’un million d’objecteurs ! C’est spectaculaire. Mais ce jour-là, je n’étais pas content car il y avait encore cinq insoumis en prison. Ces cinq insoumis en sortirent le 24 mai. Il s’est donc écoulé douze jours avant que nous puissions vraiment apprécier cette victoire car alors il n’y avait plus personne en prison pour insoumission. Cela faisait trente ans qu’il y avait en permanence des gens en prison pour délit d’objection ou d’insoumission. Il s’est trouvé qu’à ce moment-là eurent lieu les grandes manifestations contre la guerre en Irak. Nous n’avons pas eu le temps de célébrer cette victoire, ou plutôt : la lutte fut notre célébration.

Peux-tu nous éclairer sur ce que fut la lutte des objecteurs et des insoumis entre la fin de ce récit - ta sortie du bataillon disciplinaire au Sahara en 1974 - et la fin du service obligatoire en 2002 ?

Quand je suis sorti de prison, il a fallu réorganiser la lutte car les gens étaient fatigués par trois années de luttes très dures, avec une augmentation très faible du nombre d’objecteurs. Il n’y en avait que 5. Ainsi, quand je suis sorti de prison, nous avons organisé une nouvelle campagne. J’ai fait beaucoup d’interventions publiques et nous avons lancé une campagne de volontariat en disant au gouvernement : si vous reconnaissez le droit à l’objection de conscience, nous sommes disposés à faire un service civil. Nous savions que le gouvernement n’allait pas accepter. Mais nous étions prêts à mener cette action au-delà de ce refus. Je donnais des conférences dans lesquelles je disais : « qui est prêt à signer cet engagement qui dit : ‘si le gouvernement accepte le droit à l’objection, je suis prêt à faire un service civil’ ? ». Nous avons recueilli 800 signatures. Je disais alors : « nous savons que le gouvernement ne va pas accepter mais nous cherchons des gens qui sont prêts à mettre en œuvre concrètement un service civil ». Nous avons trouvé 5 personnes qui étaient prêtes à réaliser une objection de conscience collective. L’une d’entre elles était Marti Olivella [4].

Quand le gouvernement a refusé, nous avons entamé un service civil dans le quartier de Can Serra a l’Hospitalet à Barcelone. La tactique de l’action non-violente était : mettre en pratique ce qu’on demandait au gouvernement pour montrer que ce n’était pas quelque chose de bizarre ou d’impossible. Nous avons donc construit une garderie, un local pour les personnes âgées, nous avons commencé à donner des cours d’alphabétisation pour adultes. Nous avons passé 6 mois ainsi, les gens ne savaient pas que nous étions des objecteurs, ils savaient juste que nous étions des jeunes qui venaient aider. Puis, nous avons lancé la campagne de soutien et ils rendirent public le fait qu’ils étaient objecteurs de conscience. Au bout d’un moment, la police les emprisonna mais tout cela nous avait permis de propager nos idées. Cela faisait trois mois que Franco était mort, il commençait à y avoir des objecteurs en Andalousie, au Pays Basque, à Valence,…

Quand commença l’objection collective, beaucoup furent emprisonnés mais bientôt eut lieu une première amnistie générale suite à la mort de Franco. Après cela, la lutte s’est étendue et, lorsque arriva la transition et que revint un régime démocratique en 1978, il y fut ordonné de ne plus emprisonner les objecteurs de conscience. Ces derniers durent signer un papier afin que leur cas soit traité lorsque viendrait la loi sur l’objection de conscience. A partir de là, il y a eu 4 000 objecteurs et ils n’ont pas été inquiétés car ils relevaient de la loi imminente sur l’objection. En 1982, les socialistes arrivèrent au gouvernement et ils firent voter une loi sur l’objection de conscience. Mais une loi qui s’est faite en pensant aux militaires et non aux objecteurs. C’était une loi très dure parce qu’elle considérait l’objection comme un châtiment : on devait y passer le double du temps passé au service militaire, il y avait une hiérarchie, beaucoup de discipline, et beaucoup d’objecteurs refusèrent cette loi. C’est là que commença l’insoumission. Certains refusèrent donc la loi sur l’objection et se mirent à lui faire objection. D’autres l’acceptèrent. Pour tenter de contenir le problème, le gouvernement amnistia tous les anciens objecteurs.

D’un côté, il y avait donc ceux qui faisaient le service militaire ; d’un autre côté, il y avait ceux qui faisaient l’objection, le service civil, les prestations sociales de substitution qui duraient le double de temps et, en parallèle, commencèrent les insoumis. L’insoumission, petit à petit, prit beaucoup d’ampleur. Les insoumis allaient aux conseils de guerre et n’avaient pas peur (la cour martiale, les conseils de guerre sont faits pour effrayer. Mais s’ils ne font pas peur, alors ils font rire.) Les militaires dirent que le cas des insoumis ne les concernait pas, qu’il relevait des lois civiles. Et ils passèrent les procès aux tribunaux civils.

L’insoumission se développa de telle manière qu’en 1993, il y avait 300 insoumis en prison. Même s’il y avait de nombreux débats entre insoumis et objecteurs, les deux s’entre-aidèrent mutuellement, les objecteurs donnaient une base sociale aux insoumis qui étaient en prison. Ce fut un temps de lutte très dur mais très beau. L’extrême-gauche, les jeunesses trotskistes, les jeunes radicaux basques rejoignirent aussi les insoumis et acceptèrent le principe de la non-violence pour la lutte pour l’insoumission.

Le gouvernement ne voulait pas condamner trop lourdement les insoumis, les procès s’accumulaient (le système judiciaire en Espagne fonctionne mal, lentement). Cela a beaucoup nui à l’image de la justice. Celle-ci condamnait des jeunes qui montraient une valeur humaine extraordinaire. Il y avait par ailleurs tout un processus d’auto-inculpation. C’est-à-dire que, quand il y avait un insoumis, il y avait plusieurs personnalités qui manifestaient publiquement leur accord et reconnaissaient l’avoir encouragé. Mais malgré cela, les insoumis subissaient une grande pression : en tout, ils durent accomplir plus de 1000 ans de prison.

A quel niveau pouvaient s’élever leurs peines ?

Jusqu’à 2 ans de prison. Il y avait de tout. Ici en Catalogne, où les juges étaient très ouverts, ils les condamnaient à un an de prison avec sursis, ils n’avaient donc pas à l’accomplir effectivement s’ils n’avaient pas d’antécédents. Mais en Navarre ainsi qu’à Bilbao, les juges étaient plus durs et les insoumis subissaient une pression plus forte. En Navarre, toutes les quelques semaines, il y avait une manifestation depuis le centre ville jusqu’à la prison, et de grandes mobilisations, du fait que de nombreux jeunes de Navarre étaient insoumis et emprisonnés.

Pour les juges, cela posait problème : ils firent une loi qui condamnait les insoumis non plus à la prison mais à la mort civile. Ils ne pouvaient plus travailler pour l’Etat, ni recevoir de bourse, et c’était terrible. Les insoumis changèrent de tactique : ils allaient à l’appel des conscrits, restaient quelques jours puis s’en allaient. Ils désertaient. Déserter les obligeait à passer en conseil de guerre avec de nouveau un procès militaire. C’était une attitude très courageuse.

J’ai été témoin lors de procès, de plusieurs conseils de guerre pour soutenir des insoumis, pour expliquer la qualité éthique des insoumis. C’était merveilleux.

Durant ces décennies de lutte qui ont suivi ta libération, tu t’es beaucoup engagé dans ces combats…

Oui, à travers l’auto-inculpation, les conférences, les manifestations, les visites en prison, la présence aux procès, dans les médias, à la radio, à la télévision, défendant toujours les insoumis et la lutte pour l’objection de conscience. Cette petite notoriété qui était la mienne, je l’utilisais pour défendre les insoumis. Les partis politiques ne s’engageaient pas à les défendre, à part le parti communiste et les anarchistes. En effet, ni le parti socialiste ni les grands partis majoritaires ne les ont défendus, seulement quelques personnes déterminées à l’intérieur de ces partis.

Je me souviens d’un conseil de guerre qui fut magnifique car, à la fin, le président du tribunal doit demander au prévenu s’il veut dire quelque chose. Les insoumis en profitaient pour donner les raisons qui les faisaient refuser. Ils pouvaient le payer très cher, de deux ans de prison, mais la fierté d’être des hommes libres était plus forte. Pour que personne ne puisse venir les soutenir en conseil de guerre, les militaires remplissaient la salle de soldats. Ils laissaient juste les deux premiers rangs de libres. Et donc, cet insoumis au conseil de guerre où je me trouvais savait que les jeunes derrière lui étaient des militaires et il leur cria : « Et vous, soyez des hommes, et désertez ! ». Il appelait à la rébellion ! Les soldats effrayés, nous autres applaudissant, le juge criant « Dehors ! », ce fut l’un des spectacles les plus merveilleux que j’aie vécu ! Il a écopé de 2 ans, 4 mois et un jour, mais je crois que cela en valait la peine, non ? La majorité des insoumis sont contents d’avoir participé à cette lutte qui fut spectaculaire.

Il fut finalement prévu que le service militaire se terminerait en 2002 mais les autorités avaient peur que, durant les derniers temps, il n’y ait personne. Car l’objection de conscience et l’insoumission augmentaient d’une manière spectaculaire : 50% des appelés étaient insoumis ou objecteurs. Cela était très dur pour les militaires car ils perdaient une base sociale. Ils avaient peur que plus personne ne se présente pour faire le service militaire – ce qui est le rêve de tout pacifiste – et pour cela, ils avancèrent la fin du service obligatoire. Ce fut une grande victoire. A l’heure actuelle, plus personne ne veut aller à l’armée. Ils sont obligés de baisser le niveau d’exigence intellectuelle car personne ne veut y aller. Même payé ! C’est extraordinaire.

Quand la lutte pour l’insoumission s’est terminée, la guerre en Irak a commencé et ainsi la lutte ne s’est pas arrêtée.

Aujourd’hui, alors que le service obligatoire est révolu, y a-t-il encore des motifs de se mobiliser sur le thème du militarisme ?

Le thème de l’objection et de l’insoumission n’est peut-être plus d’actualité mais les budgets militaires continuent de nuire. Les politiques bellicistes de nos gouvernements ainsi que les budgets de nos armées qui sont trop élevés, nécessitent une forte mobilisation. C’est une réalité qu’il faut dénoncer et un danger pour tous, c’est pourquoi je pense que la lutte est aussi importante qu’avant, sinon plus. Quand tu parles des armes nucléaires avec des scientifiques, ils te disent qu’il y a plus de danger actuellement avec le nucléaire que durant la guerre froide. A cause de l’absence de contrôle. Les gens sont un peu endormis sur ces thèmes, il faut les réveiller car en réalité il y a beaucoup à faire.

La mobilisation contre le service militaire et obligatoire s’est donc transformée en opposition à la guerre, en recherche d’alternatives au militarisme et en promotion d’une culture de paix

Oui, ici en Catalogne il y a plusieurs organisations privées et publiques qui travaillent pour la culture de paix, pour l’éducation à la paix, contre le militarisme. La lutte contre la guerre en Irak a été très importante, elle a donné lieu à de fortes mobilisations. Il y a eu également des mobilisations contre les navires de guerre français et américains. Il faut mentionner également les luttes écologistes pour la défense du territoire, contre la déforestation, contre la pollution, contre la construction abusive de bâtiments,…Ce sont des luttes qui sont mêlées.

Justement pour toi, il y a un lien fort entre écologie et non-violence ?

Oui, à l’origine de mon idéologie et de ma transformation vers la non-violence, il y a eu la communauté de l’Arche. A l’Arche, se mêlaient la préoccupation écologique, l’objection de conscience, la non-violence, la musique, la fête… cela me paraissait être une synthèse merveilleuse. J’ai fait des études d’ingénieur agricole, ce qui est devenu ma profession, dans le but de défendre l’agriculture écologique. La lutte pour la vie, pour la biodiversité, pour la terre : c’est une planète privilégiée que nous avons et nous devons l’améliorer et la sauvegarder. La lutte écologique s’impose comme une nécessité claire si tu veux une planète vivable, saine, pacifique, juste. Je crois que sur cette planète, il y a suffisamment de tout pour tous, si certains ne s’accaparent pas tout pour accumuler. La qualité prime au final sur la quantité, pour vivre sainement et dignement.

Peux-tu en dire plus sur les actions actuelles contre le militarisme et pour la paix ?

Il y a de nombreux chantiers et, parmi ceux-ci, la reconversion des structures militaires en structures civiles. Nous avons des forts militaires qui ont été des casernes, des centres de détention, de torture, et nous croyons que, désormais, ces centres peuvent être reconvertis pour servir à promouvoir la culture de paix. Il y a donc des campagnes pour que les forts militaires se transforment en musées pour la culture de paix, en centres d’études pour la paix. Nous luttons en particulier pour les forts de Figueres et de Montjüic. Nous organisons des marches pour faire connaître ce projet et le revendiquer, nous voulons que ces forts, qui ont depuis toujours été des forts de guerre, aient désormais une utilité pour la paix.

Nous disons qu’aucune armée ne peut défendre un pays contre des armes atomiques, bactériologiques, chimiques, et que tout cet argent que nous mettons dans l’armée constitue un gâchis social. Nous avons de nombreux problèmes sociaux et nous voulons que la culture de paix avance pour transformer les budgets militaires en budgets sociaux. L’objection fiscale, l’éducation à la paix sont des ressources pour faire avancer les choses dans ce sens.

Les campagnes militaires se déroulent également dans les écoles. L’armée vient faire sa propagande pour recruter des jeunes dans l’armée de métier. Face à cela, nous organisons ce que l’on appelle des campagnes d’« objection scolaire ». Nous allons rencontrer le conseil scolaire qui regroupe les enseignants, le personnel de l’établissement, les élèves et les parents, et nous leur présentons nos arguments et leur proposons de se déclarer comme étant un établissement « objecteur ». Ils refusent alors d’accueillir cette propagande militaire en leur sein. La démarche peut également être accomplie auprès de mairies. Certaines écoles et mairies ont adopté cette forme d’objection.

Il semble que les gouvernements autonomes de certaines régions comme la Catalogne mènent des politiques intéressantes en faveur d’une sortie du militarisme… Des initiatives comme la reconversion de forts de guerre en forts de paix semblent rencontrer un certain écho institutionnel…

Nous sommes loin de recevoir un soutien politique unanime. Seulement des gens de gauche. Mais même avec eux, dans la pratique, il faut toujours lutter car sinon ils s’endormiraient. Au niveau politique, il est vrai que nous avons plus d’aides et d’appuis mais nous voulons que s’organise la réduction des investissements militaires. Ce doit être progressif : augmentation du budget pour la culture de paix, diminution du budget pour la culture de guerre et, ensuite, préparation pour intervenir dans des conflits de manière pacifique. La Catalogne n’a pas d’armée, et c’est tant mieux, mais ce que nous souhaitons est qu’elle ait une armée pacifique, de non-violents, pour pouvoir intervenir à travers le monde. Et elle peut le faire. Nous allons voir si nous pouvons avancer dans ce sens. Mais pour le moment, c’est très dur.

Es-tu en contact avec des objecteurs à travers le monde ?

Assez peu. Quand nous recevons des demandes, nous faisons ce que nous pouvons pour les soutenir. Nous avons déjà été en contact avec des objecteurs colombiens, sud-américains ou turcs. Quand ils sont en prison en particulier.

Selon toi, Pepe, qu’est-ce qui dans notre société nécessite encore aujourd’hui d’être insoumis, de résister et de désobéir ?

Je crois qu’existe toujours une forte mythification de la violence à laquelle il est nécessaire de résister. Les gens qui veulent changer la société d’une manière radicale continuent de croire qu’avec la violence, ils peuvent atteindre la justice. C’est un mythe qu’il faut changer car, pour changer la société et atteindre la justice, la non-violence est l’arme la plus puissante. Et la violence a connu un échec continuel pour construire la justice. Ainsi la non-violence est la ressource qui nous reste si nous voulons construire une société pacifique. C’est la tâche la plus importante que nous avons : la dé-justification de la violence. Ne nous mentons pas : en Europe, il y a encore deux millions de soldats. La mythification de la violence absolue se poursuit.

Je voudrais terminer cet entretien en remerciant les Français qui m’ont enseigné comment orienter la lutte d’une manière efficace. Je suis très reconnaissant à ceux qui luttèrent contre la guerre d’Algérie d’une manière pacifique et qui furent mes modèles [5] ] . En Espagne, je ne pouvais bénéficier de ces expériences car c’étaient des sujets méconnus. J’ai dû aller en France pour découvrir cela, et c’est là que j’ai sorti toute la force pour lutter. Je suis très reconnaissant à la communauté de l’Arche [6] ), à André Bernard [7] , à Jean Van Lierde [8] pour qui j’avais beaucoup d’affection, à Marie Laffranque et à de nombreux autres Français qui manifestèrent pour ma liberté et qui reçurent des coups de la police espagnole. Ils ont cru en moi alors que je n’étais qu’un garçon qui disait : « je vais faire ceci, je vais faire cela », et cela m’a donné une force incroyable et m’a permis de faire ce que j’ai fait. J’ai appris d’eux ce qu’était la lutte non-violente, la force qu’elle donnait et le chemin que je devais suivre.

Barcelone, juillet 2007.

Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Guillaume Gamblin.

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