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Antimilitaristes, Anarchistes, Non-violents

Pierre Ramus et Barthélemy de Ligt ? Mais qui sont ces parfaits inconnus ? C’est ce à quoi répond cette publication. Aujourd’hui, la confusion politique règne partout. Des mouvements sociaux, inconnus jusqu’alors, font irruption sur la place publique. Des revendications contradictoires se font jour. Celles qui comportent des éléments nationalistes se font entendre de plus en plus fort. Dans ce bruit, dans cette fureur, le parcours de ces deux hommes, leurs écrits comme leurs discours peuvent servir à éclairer les choix à venir.

L’antimilitarisme qu’ils défendaient étaient de mise dans les cercles radicaux. Son échec, dans toute l’Europe, fut pourtant retentissant en 1914. Sans refus d’obéir, de se soumettre, sans recherche de moyen d’agir : désobéissance civile, action directe non-violente, l’antimilitarisme n’est plus qu’un slogan vide de sens.

Ramus et De Ligt sont tous les deux des contemporains de la fin du XIXe siècle et de la première partie du siècle suivant. Ils ont assisté impuissants à la plus importante défaite du mouvement ouvrier depuis son apparition sur la scène sociale jusqu’à aujourd’hui. Toujours aussi impuissants, ils n’ont pu empêcher le retour de la guerre suivante. Ils sont morts avant d’en voir la fin. Ils sont inconnus de la majorité des militants révolutionnaires quelles que soient leurs étiquettes. Mais ils ne l’étaient pas de leur vivant. S’ils ont tous les deux beaucoup écrit, beaucoup parlé, beaucoup voyagé, ils n’ont pas été écoutés. Ils n’ont pas été entendus. Les leçons qu’ils ont tirées de cet échec majeur que fut l’absence de résistance de masse à la Première Guerre mondiale ne pouvaient plus être comprises dans cette période qui précéda la suivante.

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Gandhi était un anarchiste non-violent

Jens Kastner : nous avons fêté le 150° anniversaire de naissance de Gandhi le 2 octobre dernier. Dans le livre que vous avez écrit avec Horst Blume, vous présentez Gandhi, non comme un ascète non-violent ou comme le fondateur de l’État indien, mais comme un précurseur dans la lutte pour une révolution non-violente. Le livre s’intitule « Je suis moi-même un anarchiste, mais d’une autre espèce ». Cette citation est tirée d’un discours de Gandhi qui date de 1916. De quelle espèce d’anarchiste était donc Gandhi ?

Lou Marin : Un anarchiste non-violent. Grâce à trois textes et discours de Gandhi qui datent des années 1916, 1931 et 1940, nous montrons dans le livre que Gandhi s’est toujours désigné lui-même comme anarchiste tout au long des trois décennies pendant lesquelles durèrent les campagnes non-violentes de masse contre la colonisation britannique. Il nommait la société qu’il visait comme son but « une anarchie éclairée ». Et il s’est battu pour l’Inde sans armée. C’est bien pourquoi il est le seul anticolonialiste important dans le monde entier à n’avoir pas été président et qui n’ait jamais aspiré à aucune charge étatique.

En 1916, sa non-violence était encore une exception dans l’anarchisme indien. Il n’y avait pas encore de mouvement de masse anticolonialiste. C’est seulement avec ses campagnes pour la satyagraha que ce mouvement a pu se développer. Auparavant, et cela du tournant du siècle jusqu’à la première guerre mondiale, il y avait bien une première génération de jeunes anarchistes cultivés indiens qui prônaient la « propagande par le fait », mais ils étaient des indiens plutôt riches appartenant à la classe moyenne. Ils avaient été envoyés faire leurs études à Londres dans le but d’obtenir des postes dans l’administration coloniale. C’est en Europe qu’ils rencontrèrent cette « propagande anarchiste par le fait » et ils réalisèrent ensuite des attentats contre des fonctionnaires coloniaux anglais. En 1916, Gandhi se présente dans son discours comme prenant place dans ce grand courant de l’anarchisme, mais en même temps cependant, il critiquait le courant dominant à l’époque de l’anarchisme des attentats qu’il estimait immoral.

A la différence de l’anarchisme européen, les étudiants indiens qui étaient actifs durant la période des attentats étaient tout à fait nationalistes. La tête dirigeante de ces anarchistes violents était Veer Savarkar, qui a ensuite fondé en prison en 1923 l’idéologie nationaliste hindoue Hindutva. Il devint en 1938 le chef de Hindu Mahasabha, une organisation de conspirateurs hindouistes ; ce sont ceux-là mêmes qui ont assassiné Gandhi en 1948. Aujourd’hui, on place au même niveau que Gandhi dans la politique du souvenir des hommes dignes d’honneur celui qui tirait les ficelles de la conspiration Veer Savarkar, ainsi que l’assassin de Gandhi Nathuram Godse, qui n’était que le disciple de Savarkar réalisant ses ordres. On retrouve cela tout particulièrement dans le néofascisme du premier ministre Narendra Modi. Gandhi et l’assassin de Gandhi sont honorés tous les deux en même temps à la suite par Modi - ce qui est absurde.

J.K. : Vous montrez que Gandhi avait déjà eu des contacts très tôt avec l’anarchisme. Il connaissait Pierre Kropotkine. Ses futures campagnes civiles pour la désobéissance contre l’État sont complètement incompréhensibles sans la lecture du livre de Henry David Thoreau : La Désobéissance civile. C’est un écrit qui a été très important pour les mouvements sociaux du vingtième siècle. Pourquoi est-ce que l’anarchisme de Gandhi transparaît si peu dans la réception que l’on a généralement de Gandhi au vu de tout cela ?

L.M. : C’est tout simplement parce que l’interprétation orthodoxe de Gandhi est totalement dominée par la notion de Gandhi comme « Père de la nation ». Cette interprétation ne s’intéresse en rien à l’anarchisme non-violent. Effectivement, celui-ci est à la fois universaliste et fédéraliste. L’universalisme de Gandhi se révéla en 1940 : alors que les nazis bombardaient l’Angleterre, Gandhi s’est opposé à une campagne anti-britannique pour mieux lutter contre le fascisme. Gandhi ne voulait pas profiter de l’attaque nazie dans sa lutte contre le colonisateur – c’est une position hautement morale qui s’oppose à tout nationalisme et défend une position universaliste.

La gauche européenne qui était déjà depuis longtemps sur une ligne techno-moderniste ne pouvait rien comprendre à Gandhi qui restait sur une position critique envers le capitalisme industriel occidental en se tenant dans la tradition d’un Tolstoï ou d’un Thoreau. Pendant longtemps, cette gauche l’a diffamé au nom du progrès en le traitant de réactionnaire. À l’époque du développement du mouvement écologique, cela s’est temporairement un peu modifié. Mais le fait que toute l’histoire du mouvement anticolonialiste de Gandhi et tout le mouvement indien reste peu étudié jusqu’à aujourd’hui par la gauche européenne, et en particulier la gauche allemande, est un phénomène étrange. Cela forme un contraste étonnant d’ailleurs avec les mouvements latino-américains qui sont l’objet d’études sérieuses. Au lieu d’études approfondies, la gauche se saisit de n’importe quelle critique superficielle contre la non-violence pour l’accuser de racisme ou pour diffamer sa position critique envers l’industrialisme ou la lutte de Gandhi contre la guerre. Avec le mouvement des jeunes pour le climat, il y a aujourd’hui un regain d’intérêt pour la critique de la croissance faite par Gandhi. Le lien entre les deux consiste dans le fait que ce mouvement attaque lui aussi l’idéologie d’une croissance capitaliste permanente.

J.K. : Votre livre doit aussi être compris comme une réponse à la critique qui est faite à Gandhi à l’intérieur même de la gauche. Sur quoi repose à vrai dire cette critique ?

L.M. : Elle repose avant tout sur la critique de l’écrivaine indienne Arundhati Roy qui a, depuis 2010, soutenu la guérilla maoïste en Inde. Elle reproche à Gandhi son racisme pendant son séjour en Afrique du Sud. Elle affirme que Gandhi aurait aussi soutenu le système des castes. Notre livre montre précisément ce qu’est l’évolution progressive des positions de Gandhi. On comprend bien que ces reproches n’ont aucun contenu lorsque l’on présente ce que l’on peut appeler une radicalisation de Gandhi. Par exemple, c’est à tort que l’on impute à Gandhi une certaine conscience raciste lors de son séjour en Afrique du Sud jusqu’en 1906. Il écrivit, dès 1908, des articles clairs et qui n’ont rien d’ambigu, dans lesquels il se bat pour l’égalité des droits pour les « Africains », comme il les nomme dorénavant. Et cela s’est maintenu ainsi tout au long de sa vie active, c’est-à-dire pendant plus de 40 ans !

En ce qui concerne sa position au sujet des castes, il y a eu aussi une certaine évolution que Roy ne prend jamais en compte. La phrase prononcée dans les années 40 en montre bien le sens : « Le système des castes est un anachronisme ». Dès 1915, Gandhi a accepté dans ses ashrams ceux que l’on nomme des « Intouchables » et ce, au grand dam de ceux des castes les plus élevées. Et les pratiques y furent ensuite toujours plus radicales : repas pris en commun par toutes les castes, nettoyage des toilettes par toutes les castes, mariages entre des hindous de castes supérieures avec des « Intouchables ». A la fin il y eu même de la discrimination positive. Ce qui veut dire qu’aucun mariage n’était possible au sein de l’ashram si l’un ou l’une de des deux personnes du couple n’était pas un hors-caste.

J.K. : Dans votre livre, vous insistez sur le rapport positif de Gandhi avec des intellectuels juifs. Dans quelle mesure ces contacts et ces références étaient-ils décisifs pour l’évolution de Gandhi en tant que théoricien et activiste ?

L.M. : Notre passage sur les liens précoces entre Gandhi et les immigrants juifs et les immigrantes juives en Afrique du Sud est une réponse aux critiques de Gandhi dans les discussions actuelles partout dans le monde. Ces critiques n’ont jamais été intéressées par le fait que Gandhi avait accueilli et intégré des personnes juives dès ses premiers ashrams en Afrique du Sud. C’est avec elles qu’il a mené ses premiers combats pour l’égalité des droits des immigrants et immigrantes indiens en Afrique du Sud. C’est en particulier avec Hermann Kallenbach, Sonia Schlesin, Henry Pollak et Lewis W. Ritch que Gandhi construisit ses communes que sont les ashrams en Afrique du Sud. A cette époque, Gandhi fréquentait régulièrement des synagogues. Kallenbach, le charpentier, constructeur des maisons des communes de Gandhi, partit ensuite dans des kibboutz de Palestine et devint actif dans des groupes antiétatiques.

Pourtant, ceux et celles qui critiquent Gandhi en l’accusant de racisme ne s’intéressent pas le moins du monde aux raisons qui ont fait émigrer ces personnes juives en Afrique du Sud, comme les pogroms tsaristes, ni à la coopération entre migrants et migrantes juifs et indiens. Ils ne connaissent d’ailleurs rien de tout cela. Pourtant, le fait de ne pas savoir n’excuse rien. Dans ce cas, on mesure avec deux critères différents.

Plus tard ; Gandhi est toujours revenu sur le fait qu’il fallait protéger les réfugiés juifs. Avec son compagnon de luttes Jawaharlal Nehru, il a accueilli en Inde entre 1938 et 1940 des réfugiés juifs en provenance de l’Allemagne nazie. C’est ce que Subhas Chandra Bose, l’opposant de Gandhi a critiqué. A l’époque, il était le défenseur de la lutte armée. Il interprétait librement la formule « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Bose est même allé directement à Berlin et a collaboré de 1941 à 1943 avec Hitler, pour libérer l’Inde depuis l’extérieur avec l’aide de l’armée nazie par-delà le Caucase. Bose commentait ainsi de façon cynique et anti-universaliste : « Ce que les allemands font en Europe est indifférent ». C’est ainsi que les réfugiés juifs étaient pour Gandhi un symbole de son éthique universaliste.

J.K. : Gandhi ne menait pas seulement des campagnes non-violentes contre la puissance coloniale britannique. Il était aussi pris dans tout un réseau international et un théoricien anticolonialiste. Bien que les campagnes qui se sont inspirées de lui eurent beaucoup de succès, ses idées ne jouent qu’un rôle infime aujourd’hui dans la théorie et dans la pratique anti- et postcoloniales en comparaison avec le rôle que joue l’oeuvre de Franz Fanon par exemple, qui propage tout autre chose que la non-violence. Comment cela se fait-il ?

L.M. : Dans son livre, l’ennemi intime, Ashis Nandy, un interprète indien de Gandhi appelle celui-ci, un « activiste non-moderne ». Nandy estime qu’en tant que « sanatani », en tant que traditionaliste critique et comme homme qui a insisté sur le caractère androgyne de la condition masculine, Gandhi aurait trouvé un moyen de parler principalement aux femmes au sein du mouvement pour l’indépendance afin de pouvoir les faire sortir de leur enfermement dans les foyers. Lors des campagnes qui eurent lieu pendant la période des pogroms lors de la partition entre les hindous et les musulmans entre 1945 et 1947, Gandhi parlait directement aux femmes hindoues dans leurs villages pour éviter que leurs maris conditionnés aux pogroms ne poursuivent leur lutte armée. C’est ainsi que le mouvement de lutte pour l’indépendance fut aussi le premier mouvement de femmes en Inde.

Les masses qui provenaient des villages, et qui représentaient une forme d’hindouisme hybride non-nationaliste et local, mais pas unitaire, n’auraient, selon Nandy, rien connu de l’époque moderne et ne l’aurait pas non-plus dépassée, mais seraient au contraire restés non-modernes. Ce mouvement d’indépendance ne serait jamais passé réellement par la phase moderne pour ainsi dire. C’est pourquoi il ne jouerait pas un plus grand rôle dans la théorie post-moderne – sauf chez Nandy lui-même en tant que fondateur des Postcolonial Studies.

Selon Nandy, l’homme Gandhi androgyne, et les femmes non-modernes du mouvement de masse anti-colonial auraient représenté d’autres valeurs non-coloniales comme par exemple la non-violence et cela à partir d’un point de vue traditionnel indigène. L’énergie des femmes, Shakti, l’aurait emporté. Au contraire poursuit Nandy, les valeurs de la Kshatryia de la caste des guerriers seraient les mêmes valeurs que celles des colonisateurs – ou encore que celles des nationalistes hindous d’aujourd’hui. Ceux-ci font comme si le colonialisme avait transformé les Indiens en femmes ou les aurait « efféminés » au point qu’ils en auraient oublié les valeurs guerrières. Et c’est seulement à partir de là qu’ils auraient pu être colonisés. Ainsi, l’anticolonialisme aurait signifié de reprendre pour soi les valeurs guerrières viriles à travers une lutte armée. C’était d’ailleurs là la thèse des anarchistes indiens qui commettaient des attentats comme Savarkar. C’est pourquoi il était logique qu’il évolue et devienne un assassin nationaliste hindou.

J.K. : Gandhi a développé ses idées dans le cadre de sociétés qui étaient principalement paysannes. Elles se caractérisaient par une organisation marquée par l’exploitation coloniale. Cependant, ses méthodes et ses concepts comme la grève, les occupations des terres, les blocus, les boycotts, etc. ont joué un rôle important aussi dans les sociétés industrielles occidentale des années 1960. Les mouvements sociaux de l’époque s’en inspirèrent énormément. En quoi Gandhi est-il pertinent pour le 21° siècle ?

L.M. : Je pense que c’est à l’orientation universelle des valeurs éthiques et morales qu’il faut renvoyer l’ampleur de la réception internationale de Gandhi. On le voit par exemple aux Etats-Unis lors du mouvement pour les droits civiques. Dans ce cas, ce fut davantage l’occasion d’échanges Sud-Sud qui permit à ce mouvement de se développer et ce n’est pas l’Europe qui en fut l’origine. On peut mentionner aussi tous les mouvements sociaux de la non-violence dans l’espace germanophone comme les mouvements pour la paix, les mouvements de lutte contre le nucléaire et aujourd’hui le mouvement pour le climat. Même lorsqu’ils s’ancrent fortement sur des traditions opprimées indiennes et indigènes, ces mouvements ont toujours eu un énorme potentiel pour pouvoir se lier partout dans le monde avec des courants qui avaient les mêmes préoccupations non-modernes, même dans les métropoles. On peut citer par exemple les végétariens et les véganes ou encore le mouvement issu de Tolstoï très critique envers l’industrialisation ou encore les mouvements de l’écologie radicale.

La critique qui est faite de Gandhi par la jeune génération, que ce dernier serait raciste ou qu’il défendrait le système des castes, joue un rôle fatal aujourd’hui dans le développement de l’exploitation et des stratégies bellicistes. Le contenu émancipateur des idées de Gandhi doit être précisé pour contrer les diffamations et les critiques. C’est contre cela que lutte notre livre. Car Gandhi reste encore aujourd’hui celui qui combat contre la guerre et contre la brutalité des relations économiques internationales grâce à une économie de subsistance qui puisse se développer partout dans le monde. Horst Blume rapporte dans son livre ce qui se passe actuellement avec les mouvements pour la terre comme par exemple Ekta Parishad (conseil commun) en Inde. Ce groupe a en effet initié une marche internationale vers Genève pour expliquer cela et éveiller les consciences. Les paysans et paysannes, Adivasis et Dalits, qui participent à cette marche devraient arriver à Genève en septembre 2020.

Lou Marin vit à Marseille et est coauteur avec Horst Blume du livre « Gandhi – ich bin Anarchist, aber von einer anderen Art » (Je suis un anarchiste, mais d’une tout autre espèce) (aux éditions Graswurzelrevolution 2019, 140 pages, 13,90 euro). C’est Jens Kastner qui a mené l’entretien.

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Gandhi à Paris, 1931.


16 heures, gare du Nord, à l’arrivée du rapide de Boulogne.

Journalistes, carnet à la main, prêts à happer le moindre renseignement photographes et opérateurs de ciné braquant leurs objectifs. On reconnaît, malgré le costume européen, des Hindous à la peau bru- ne ; et, parmi eux, une jeune fille en costume national.


On attend Gandhi.

Les travailleurs de la gare observent le spectacle avec une curiosité mêlée d’ironie. Encore un des grands de ce monde, pour lesquels M. Chiappe dérange ses bourriques ! Mais Gandhi est une attraction toute particulière, en ces lendemains de foire coloniale : les journaux, le film, les revuistes, n’ont-ils pas popularisé son crâne nu, sa bouche édentée, son bizarre vêtement de laine blanche

Le rapide entre en gare. On se rue vers le wagon. Et le tout petit, le frêle vieillard apparait, visage tanné, impassible, aussitôt entouré, écrasé par une foule qui le poussera jusqu’à la sortie comme un fétu de paille.

Nous voici à hauteur de la locomotive. Les projecteurs électriques des cinéastes répandent un flot de brutale lumière.

Le mécanicien et le chauffeur se penchent avidement pour apercevoir cette petite chose étrange qu’ils ont véhiculée. Et dans leur regard, je lis l’étonnement, la déception.

Le contact entre classes exploitées et peuples opprimés est encore à établir : l’homme qui personnifie, qu’on le veuille ou non, la lutte de 350 millions d’Hindous, vous l’avez regardé, mes camarades, comme une bête curieuse.

La maison où le « Mahatma » logera pour un soir est prise d’assaut.

Par un monde hétéroclite. Il y a là, dans l’étroit escalier où l’on se bouscule, de vieilles théosophes, un curé amateur d’autographes, M. Charles Gide, le « vénérable » patriarche de la Coopération, le pitre Raymond Duncan dans son grotesque accoutrement antique, qui voudrait faire concurrence à Gandhi, et des fous et ces folles qui voudraient contempler de plus près la grande attraction du jour.

La police déblaie tout ça, refoule tout ça dans la rue.

Et c’est maintenant le gavroche parisien qui a la parole.

Vous n’entrerez pas, il est fatigué, ses rotules flanchent, lance l’un d’eux à une vieille admiratrice Une sorte de boy-scout théosophe, a cheveux gris chemise orange et béret brun monte la garde devant la porte de l’immeuble. Vous n’entrerez pas, « l’aide de camp » du Mahatma vient de le dire, précise un autre.

Oui, laissons le pauvre Mahatma à ses « aides-de-camp » théosophes.

Devant Magic-City, où à 20 h. 30 Gandhi doit parler, c’est la ruée la plus extravagante. Une longue queue se presse sur le trottoir, tandis que les opérateurs de radiophonie s’affairent autour de leurs voitures. Dans la salle, le service d’ordre est assuré par ces mêmes étranges boy-scouts théosophes, mâles et femelles, roses et oranges, ceinturonnés, bardés d’insignes. Vit-on-jamais assistance plus mélangée ? Il y a là des représentants des cinq parties du monde, Hindous, Chinois, Africains du Nord, que sais-je encore, des journalistes, des intellectuels, des « pacifistes », des quakers et autres espèces rares. Des travailleurs, peu ou prou. Gandhi monte sur l’estrade, parmi les déclics et les éclairs de magnésium, debout, penché sur le microphone, commence en anglais, sans gestes, sans effets oratoires, sans que tressaille un muscle de son visage, une longue psalmodie un peu nasillarde. Après chaque phrase, il se recueille et l’on traduit.

SON DISCOURS

Sa première visite à Paris, évoque-t-il en commençant remonte à 1880, l’année de l’Exposition

- Depuis, autant que mes loisirs me l’ont permis, je me suis tenu au courant des choses de votre pays. Je suis un lecteur de Rousseau et de Voltaire. J’ai tenté de comprendre partiellement votre grande Révolution. Mais vous pouvez, si vous le voulez, donner un message au monde beaucoup plus grand que celui qu’ont donné vos ancêtres. Car il me semble que le monde est fatigué des guerres sanguinaires. Le monde est fatigué du mensonge, de l’hypocrisie, de la tromperie, résultat certain des méthodes belliqueuses. Le monde a commencé à comprendre quelles sont les conséquences économiques calamiteuses des guerres. Je suis convaincu que la crise économique qui déchire tous les pays sans excepter les grands Etats-Unis d’Amérique est la conséquence directe de la guerre mondiale que nous avons été assez égarés pour appeler la « grande guerre ».

Et ainsi il m’apparait que la lutte de l’Inde pour son indépendance est un événement d’une portée mondiale pour lequel, vous, femmes et hommes de Paris, devriez prendre l’intérêt le plus direct.

Cette nation de 350 millions d’habitants, représentant un cinquième de l’humanité tente d’obtenir sa liberté par des méthodes absolument loyales et dénuées de violence.

Le mensonge, la duplicité, la tromperie n’ont aucune part dans les méthodes que nous essayons d’employer aux Indes pour gagner notre liberté. Tout est fait ouvertement. La Vérité hait le secret. Plus vous êtes ouverts et plus vous serez véridiques. Dans le dictionnaire d’un homme qui base sa vie sur la Vérité et la Non-Violence il n’y a pas de place pour les mots de crainte et de désespoir.

Mais je vous prie de ne pas vous laisser entraîner par cette idée que notre mouvement est en quoi que ce soit un mouvement passif. Il est essentiellement un mouvement actif, beaucoup plus actif que n’importe quel mouvement basé sur l’emploi des armes meurtrières.

La Vérité et la Non-Violence sont peut-être les plus actives des forces qui sont dans le monde.

L’homme qui brandit des armes meurtrières et a l’intention de détruire les hommes qui sont ses ennemis doit prendre du repos de temps en temps, se reposer une partie de la journée. Il est, par conséquent, essentiellement inactif durant quelques heures par jour.

Il n’en est pas ainsi pour la Vérité et la Non-Violence, pour la raison bien simple que ce ne sont pas des armes extérieures. Ces armes-là reposent dans la poitrine humaine.

Et là, dans votre poitrine, elles ne cessent de trouver leur chemin vers l’expression, que vous soyez endormis ou à l’état de veille, que vous vous promeniez, que vous soyez mêlés à des travaux ou à des jeux actifs.

Gandhi oppose alors l’homme qui combat par la Non-Violence arme de la seule Idée au guerrier couvert de panoplies d’armes.

- Je n’ai fait que vous donner une vue sommaire des méthodes que nous employons, méthodes et sentiments qui ont pénétré jusqu’aux dernières couches des masses paysannes de l’Inde.

Je ne connais pas, dans l’histoire du monde, depuis plus de cent ans, un mouvement auquel autant d’hommes illettrés et humbles ont pris part.

La race humaine est essentiellement une race d’idolâtres. J’entends par cette expression que nous avons besoin d’une manifestation visuelle de nos croyances. Nous attendons avec impatience que surgissent des miracles Si le mouvement qui se produit aux Indes sur une immense échelle s’étend et s’amplifie, il donnera au monde le miracle que celui-ci attend et sa démonstration tangible. Et le monde entier viendra à ces deux grands principes de Vérité et de Non- Violence qui sont les deux piliers du progrès humain.

Gandhi ne veut pas terminer ces remarques préliminaires sans donner un très frappant exemple des méthodes dont il s’est fait l’apôtre :

Lorsqu’eut lieu, l’année dernière, la grande marche pour le sel, les masses indiennes participèrent d’une façon merveilleuse et inattendue à cet événement. Il y avait parmi elles, non pas des femmes élevées à l’européenne, instruites, mais des femmes illettrées qui ne savaient pas même tracer leur nom. Dès le début de cette entreprise, nous avons constaté que ni le sexe ni l’âge ne retinrent ceux qui y participèrent.

Femmes et hommes âgés s’y joignirent en même temps que les petits enfants. Je vous prie de croire mon témoignage quand je vous dit que nous n’avons fait aucun effort particulier pour attirer dans le mouvement les femmes et les enfants de l’Inde.

Si nous avons dû pourtant faire un certain effort pour entraîner la collaboration des femmes, ce fut seulement dans les villes. Mais, autant que je sache, aucun effort n’a été fait pour attirer les enfants. Il faut vraiment que l’atmosphère de l’Inde soit chargée d’une sorte d’électricité (non pas celle qui éclaire les rue de Paris) mais une électricité spirituelle pour avoir atteint jusqu’au cœur des petits enfants.

Ils allèrent à l’action, ces petits, avec tant de confiance et d’énergie, que leurs parents furent incapables de s’opposer à leur participation à la libération de l’Inde. Si vous êtes convaincus de l’importance des facteurs qui ont contribué à entraîner ces enfants, je vous invite à méditer les sources de ces facteurs, jusqu’à ce que vous en soyez pénétrés et jusqu’à ce que vous joigniez tous vos efforts à la lutte pour le triomphe d’une telle cause.

Gandhi termine son exposé en indiquant que celui- ci n’était qu’une préface à une discussion très amicale. Un certain nombre de question écrites lui ont été remises. Il se propose de répondre à chacune d’elles.

SES REPONSES

A aucun moment, durant ce long interrogatoire, le « Mahatma » ne sera pris au dépourvu. Il semble qu’il ait connu à l’avance, de toute éternité, les questions posées. Toujours impassible, calme, méthodique, avec une autorité de chef, et aussi avec la prudence, la subtilité d’un paysan madré, il aura réponse à tout.

Première Question : Le Mahatma a donné un message à l’Inde. Ne pense-t-il pas en donner un à tous les peuples de la terre ? Comment pense-t-il qu’un tel message puisse être donné et reçu en dehors de l’Inde ?

Il me semble que j’ai déjà répondu par anticipation. Les méthodes dont j’ai parlé sont appliquées par un peuple qui représente un cinquième de l’humanité. Elles sont susceptibles d’une application universelle dans la mesure où elles sont générales et applicables à l’ensemble de l’humanité.

Deuxième Question Pensez-vous que les méthodes de Non Coopération soient applicables en Occident, notamment en cas de mobilisation et de guerre ?

- Ma réponse est qu’indubitablement les méthodes non violentes de Non Coopération sont applicables en Occident comme en Orient. Non Coopération veut dire : s’abstenir de s’associer aux forces du mal. Et lorsqu’un homme ou une femme est arrivé à la conviction profonde qu’un fait ou une action est associé au principe du mal, c’est un devoir sacré pour cet homme ou cette femme de se dissocier d’avec cette action.

b) En cas de guerre faut-il se laisser fusiller plutôt que de porter les armes, ou est-il suffisant, comme je l’ai fait jusqu’ici, de tirer en l’air ?

- Si un soldat qui porte des armes extérieures s’est engagé à faire le sacrifice de sa vie pour tuer ses ennemis, combien davantage un homme qui a pris le parti de la Non Violence doit-il faire le sacrifice de sa vie pour ne pas tuer son semblable ! Dans un pays comme la France où règne le service militaire obligatoire, il se peut que ma réponse ait un parfum de haute trahison. Et comme je suis un hôte recevant l’hospitalisation de votre grande cité pour une seule nuit, on pourrait considérer comme sage et prudent de ma part de ne pas répondre à cette question. Mais au fronton de vos édifices, sur les portiques de vos tribunaux, n’est-il pas écrit : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Rendons à votre gouvernement cet hommage que, jusqu’ici, il n’a pas supprimé la liberté de parole. En cas de guerre, peut-on se satisfaire de tirer en l’air ? Ma réponse est un non catégorique. Car en évitant ainsi les conséquences du refus de tuer vos semblables, vous ne prenez pas position, vous n’êtes pas fidèle à votre idéal.

Troisième Question : Reste-t-il des chances d’arriver à un règlement pacifique du problème hindou, ce que certains ne croient pas ? [1].

Il y a encore des chances de règlement pacifique. En tant qu’homme ayant placé toute sa foi dans la Non-Violence et la Vérité, je ne peux m’empêcher de croire encore qu’il y a des chances de règlement entièrement pacifique des relations anglo-indiennes. Le fait que je parais actuellement m’éloigner d’Angleterre les mains vides, ne signifie pas que tout espoir de solution pacifique ait disparu. Au contraire ce sera pour notre pays un nouveau stimulant pour toucher, par de nouvelles souffrances et de nouveaux sacrifices, le cœur de l’Angleterre et le convertir. La lutte de la Vérité et de la Non-Violence n’a jamais pour but la destruction de l’adversaire, mais sa conversion.

Quatrième question : Quel doit être l’idéal de l’humanité, la science ou l’ignorance ?

L’humanité ne doit se proposer comme idéal ni la science ni l’ignorance, mais la connaissance de soi-même. Cette connaissance de soi-même implique notamment que l’humanité doit comprendre qu’il y a quelque chose d’infiniment meilleur que la brute ou la bête féroce. S’il y a une science, elle résulte de la connaissance de soi-même et de l’action. L’expérience directe n’a pas besoin de la confirmation douteuse de la raison. Quand je contemple vos magnifiques cathédrales, je n’ai pas besoin d’un commentateur pour m’exposer les raisons de leur beauté.

Cinquième Question : Que pensez-vous de la voie que suivront la libre Russie et l’Inde libérée, non pas la Russie matérialiste d’aujourd’hui, mais une Russie spiritualisée ?

Quand l’Inde sera libérée et la Russie spiritualisée, il n’y aura plus de différence entre elles.

Sixième Question Que pensez-vous que l’on puisse faire contre la guerre et pour la prévenir ?

Si seulement les femmes voulaient oublier qu’elles appartiennent au sexe faible, elles pourraient faire infiniment plus que les hommes pour empêcher les guerres. Que feraient, que deviendraient vos « grands soldats », vos officiers, si leurs femmes, si leurs mères refusaient plus longtemps d’admettre leur profession militaire ?.

Septième Question Est-ce que le Mahatma se rend compte qu’aucune invitation n’a été adressée aux organisations prolétariennes et qu’il n’y a dans cette salle que des intellectuels et des libéraux ?

Je n’en savais rien. Mais on m’affirme que ce n’est pas exact [2].
Huitième Question Est-ce que le Mahatma a fait quelque chose pour attacher les milliers d’Indiens vivant en dehors de l’Inde à ce grand mouvement de libération de l’Inde ?
Je suis heureux de pouvoir profiter de cette question pour vous dire que ni le Congrès ni moi-même, n’avons eu besoin de faire effort pour que les Indiens d’au-delà les mers nous aident, notamment par d’importantes contributions pécuniaires.

Neuvième Question Est-ce que l’Inde indépendante aurait sa troupe armée ?

Si l’Inde devenait libre en un clin d’œil, je crains qu’elle ne soit pas encore suffisamment entraînée aux méthodes de Non-Violence pour se passer, du jour au lendemain, d’une armée. Mais je suis convaincu que si l’Inde obtient sa liberté par la Non-Violence, l’Inde libérée n’aura plus besoin d’une armée.

Dixième Question Acceptez-vous l’exploitation de l’homme par l’homme ?

Puisque je suis en train de tenter de libérer l’Inde de l’Angleterre, je suis naturellement contre l’exploitation de n’importe quel pays ou de n’importe quel individu.

Onzième Question Que pense le Mahatma des dernières déclarations de MacDonald à la Chambre des Communes ?

J’ai déjà exprimé l’opinion qu’elles ne me donnent nullement satisfaction.

Douzième Question Le Mahatma parle de l’universalité de son message, mais lorsqu’il voit les souffrances engendrées, en contre-coup de son action, dans le Lancashire, ne peut-on se demander si son message n’est pas simplement national plutôt qu’universel ?

Je réponds par un non catégorique. Le fait que l’Inde ne pourra recouvrer sa prospérité économique qu’au détriment des habitants du Lancashire n’empêche nullement ses méthodes d’action d’avoir une portée universelle. Si les habitants de Paris se mettaient, un beau matin, à entreprendre une campagne de purification. les hommes renonçant aux vins même légers, les femmes aux fanfreluches, cosmétiques, fards, poudres, même si ceux qui font profession de vendre ces vins, ces fards, ces fanfreluches étaient ruinés, ce serait tout de même un grand bien spirituel pour votre pays. Il faut faire ici une distinction très importante entre le bien essentiel de l’humanité et les intérêts de tel ou tel groupe.

Treizième Question Pourquoi les dames qui organisent cette réunion portent-elles des - uniformes militaires ?

Je n’en sais rien. C’est à elles qu’il faut le demander !

Quatorzième Question Savez-vous combien de temps il faudra à l’Inde pour devenir indépendante ?
C’est une des nombreuses question que Dieu s’est réservé pour lui-même.

Quinzième Question Que pense le Mahatma de la Révolution russe ?

Je suis assez humble pour ne pas prétendre à l’omniscience. Et par conséquent je déclare que je ne sais pas ce qu’il faut penser de la Révolution russe.

Seizième Question Que pense le Mahatma de l’attitude des églises chrétiennes en face du problème de la guerre ?

Etant étranger aux églises chrétiennes, je ne peux avoir qu’une opinion extérieure. Je pense que leur attitude est plutôt timide (rires).

Dix-Septième Question : Les Anglais emploient aux Indes des méthodes brutales, comment la Non-Violence peut-elle jouer en présence de la loi martiale ?

Il est de la plus extrême importance de ne pas répondre à la violence par la violence. Mais je désirerais faire une éducation si approfondie des peuples dans les méthodes de Non-Coopération qu’aucune loi martiale ne pourrait y résister.

Dix-Huitième Question Comment le Mahatma se représente- t-il la solution du problème des intouchables ?

La question des intouchables est certainement une tache très sérieuse sur l’écusson de l’Inde libre.
Des centaines de réformateurs sont aujourd’hui occupés à engager une action importante contre cette tache. Il en résulte que le serpent de l’intouchabilité en est déjà réduit à suffoquer.

Dix-neuvième Question : La justice civile est une forme de violence organisée. Qu’en pensez-vous ?
Dans la mesure où elle est basée sur la violence, elle n’est pas acceptable pour un homme qui croit à la Non-Violence et veut s’y conformer. Mais dans la mesure où les jugements rendus par la justice civile reposent sur le consentement populaire, l’acceptation de ces jugements ne constitue pas un manquement aux principes de Non-Violence mais en est au contraire la conséquence obligatoire.

Vingtième Question : Avant de combattre pour la libération de l’Inde, ne serait-il pas meilleur d’instruire d’abord les masses de l’Inde ? Libres, les 95% de cette population ne seraient-ils pas à la merci de quelques intellectuels ?
Il serait infiniment préférable d’être soumis à la domination d’une poignée d’intellectuels, qu’à celle de la force armée régnant par la violence. Mais, pour ce qui est de l’Inde, il sera certainement intéressant pour vous de savoir que c’est un pays d’une très haute et très antique civilisation. Sa population n’est pas du tout ignorante. La culture intellectuelle n’est pas indispensable à la culture du cœur ou même à la culture de l’esprit.

Vingt et unième Question Pensez-vous que la perfection morale soit accessible seulement à une élite ou, à l’ensemble de l’humanité ?

Je n’hésite pas à répondre que ce qui est possible pour un individu est possible pour l’ensemble de l’humanité. Si la perfection dépendait de circonstances extérieures, elle ne serait pas possible pour tous les hommes. Mais comme elle dépend de processus intérieurs, elle est accessible à tous.

Vingt-deuxième Question Est-il exact que vous ayez demandé l’appui de la France, alors que par ailleurs :vous avez déclaré que vous supprimeriez aux Indes toutes importations en dehors des importations anglaises ?

Je considère comme absolument juste de demander l’appui de la France, bien que j’aie promis au Lancashire un traitement privilégié. J’ai demandé l’appui de la France, non pas comme un marchandage commercial mais comme quelque chose de désintéressé. Ne voyez-vous pas que si je conclus avec l’Angleterre une association, c’est mon devoir de donner la préférence aux marchandises britanniques aussi longtemps que durera cette association ? Mais je vous prie de croire que mon nationalisme ne se limite pas à une association avec l’Angleterre. Et si je réussis à obtenir cette première victoire, j’entreprendrai immédiatement un nouveau pas : vers l’association universelle, étendant les mêmes droits et les mêmes devoirs à tous les peuples de la terre.

Vingt-troisième Question Pourquoi avez-vous abandonné le costume européen après l’avoir porté durant de longues années ?

Parce qu’il m’était impossible de m’unir complètement, intimement, avec la masse de mes compatriotes humbles si je portais des vêtements européens ; et aussi parce que ces vêtements sont complètement inadéquats au climat de l’Inde.


C’est fini. Après une dernière, question où l’on essaie de faire se prononcer Gandhi pour le christianisme question à laquelle il se dérobe avec une adresse et une fermeté toute socratiques, le frêle vieillard se lève doucement et disparaît. Vers quel destin retourne ce sage qui est aussi, qui est surtout un politique ? Les méthodes .de Non-Violence qui ont pu réussir un temps, seront-elles encore efficaces devant la volonté des Anglais de se maintenir aux Indes par la force ? Gandhi se résignera-t-il à la violence ou abandonnerait-il la partie 1 Ne faisons pas comme nos camarades communistes : attendons-le à l’épreuve suprême avant de lui jeter la pierre.

D. GUERIN.

Avec cette troisième question Gandhi a résumé ici une assez longue question que nous lui avions posée par écrit et dont voici la teneur

- Vous êtes l’apôtre de la non-violence. Mais un apôtre d’un genre particulier, qui écrit (12 mai 1920) : « Rien sur cette terre n’a jamais été accompli sans action directe ». Votre non-violence est surtout, et sans aucune restriction mentale de votre part, une violence contenue, réservée, différée.
- Tagore, comme le magistrat britannique qui vous jugea en 1922, comme ce M. Griffith, l’officier de police qui vous interrogea lors de l’agitation contre le bill Rowlatt, vous ont assez répété que la non-violence n’est qu’une étape vers la violence. Et vous sembliez accepter ce reproche lorsque vous écriviez (9 juin 1920) : « Les risques de l’indolence devant un problème grave sont infiniment plus grands que le danger de la violence, que peut faire naître l’organisation de la non-coopération ».
- D’ailleurs vous n’êtes pas un adversaire absolu, intraitable de la violence. Dans votre fameuse lettre au Vice-Roi pour l’inauguration de la non coopération, vous écriviez, parlant du parti extrémiste « J’avoue que je n’ai pas réussi (je ne l’ai même pas essayé) à le détourner de la violence pour des raisons morales, mais pour des raisons utilitaires. »

- Ce que vous avez surtout voulu, connaissant bien les masses indiennes, leur facile déchaînement, c’est d’éviter de les jeter avant l’heure dans des violences sanglantes et qui manqueraient leur but. Vous saviez aussi que contre la force britannique un pays désarmé doit trouver une autre arme ; et cette arme, la non-coopération, vous vous en êtes remarquablement servi.

- Vous êtes, sans en avoir l’air, un excellent stratège politique et par étapes progressives, vous avez ébranlé le joug de l’oppresseur.

- Mais aujourd’hui, vous voici à l’étape décisive. Votre souci d’épuiser, avant de passer à l’action, toutes les tentatives de conciliation vous a conduit, à Londres, à la comédie de la Table Ronde.

- Vous avez échoué vous revenez les mains vides. Qu’allez-vous faire ? Vous êtes avant tout un expérimentateur toute votre vie est une longue expérience personnelle ; s’il vous est prouvé par les événements que la non-violence a donné tout ce qu’elle pouvait donner, l’abandonnerez-vous ?

- Le 9 mars 1920 vous écriviez : « je ne dis pas que la politique de non-violence exclue la politique de vengeance, lorsque cette politique sera abandonnée », vous admettiez donc qu’elle pût être abandonnée.

- Le 9 août 1920, vous ajoutiez « je crois en vérité que s’il fallait absolument faire un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence ». Et le 8 septembre vous précisiez : « si l’Inde doit obtenir sa liberté par la violence, il faudra que ce soit par la violence disciplinée ». Vous admettiez donc le principe de la violence. A l’heure actuelle, après l’échec de Londres, alors que l’ordonnance terroriste du Bengale sévit sur l’Inde, s’imaginer que l’Inde se libérera du joug britannique par la seule non-violence, serait une coupable chimère. Vous aviez prévu cette heure l’heure du choix.

- Le II août 1920, vous écriviez : « si l’Inde accepte la doctrine de l’épée, ce sera pour mot l’heure de l’épreuve ». Nous vous attendons à l’épreuve. Comment choisirez-vous ? Resterez-vous avec le peuple de l’Inde ou l‘abandonnerez-vous à l’étape suprême ?

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Anarchisme non-violent et pacifisme libertaire

KALICHA Sebastian

Anarchisme non-violent et pacifisme libertaire
Une approche théorique et historique

«  L’anarchisme non-violent ne cesse d’apparaître dans l’histoire, aujourd’hui encore, comme un courant et une tradition ayant une identité propre au sein du mouvement hétérogène que forme l’anarchisme. Encore qu’il faille sans doute – par rapport aux autres tendances – plus d’attention pour le distinguer et l’isoler clairement du reste afin de pouvoir l’étudier de manière approfondie.  »

Voici l’objectif qui s’est donné Sebastian Kalicha en travaillant sur ce texte. Après une première partie qui s’arrête sur les théories ayant contribué à questionner la domination et la violence, quelles qu’elles soient, il présente dans une deuxième partie un certain nombre de personnalités liées à ce mouvement. Enfin, dans une troisième partie, il nous propose une liste (non exhaustive) de groupes et d’organisations qui en ont écrit l’histoire. Une histoire qui reste actuelle par la présence de la violence dans nos vies quotidiennes, que ce soit par l’utilisation qui en est faite par les institutions se considérant comme seules légitimes à pouvoir s’en servir, mais aussi par celle se réclamant d’un projet révolutionnaire et émancipateur qui se propose comme alternative à celle-là.

Enfin, si l’auteur laisse quelques questions en suspens, il faudra naturellement d’autres recherches pour essayer d’y répondre, ainsi que pour enrichir cette démarche significative dans de nombreuses actions et initiatives, passées et présentes, où est perceptible la présence d’un «  anarchisme non-violent  ». Ce livre va sûrement nous aider à poursuivre et nous interroger sur l’engagement libertaire qui est le nôtre.

Sebastian Kalicha habite Vienne, en Autriche. Il collabore à divers médias libertaires et a publié plusieurs essais sur l’anarchisme, en particulier sur la tradition anarchiste non-violente.

Illustrations de Daniel Grunewald

Traduction de Gaël Cheptou

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Nous soutenons les réfractaires à l’armée russe

Anciens déserteurs, réfractaires à la guerre d’Algérie et d’autres guerres plus récentes, objecteurs de conscience, insoumis au service militaire, antimilitaristes, nous sommes solidaires des réfractaires, insoumis, objecteurs et déserteurs de l’armée russe qui refusent de participer à la guerre menée en Ukraine. Ils doivent être accueillis dans le pays de leur choix, en tant que réfugiés politiques !

Lire la suite et la liste des 130 signataires

Un peu plus de ...

1972-1985 Action directe non-violente en Allemagne

" Pour nous, les actions non violentes [de désobéissance civile] sont plus qu’un soutien au travail public. Elles font partie de notre tentative d’organiser le pouvoir depuis le bas..... Bien sûr, nos actions incluent toujours la volonté de parler (surtout avec les soldats). Les actions non-violentes font toujours appel à la compréhension et à la conscience des opposants, car nous n’oublions pas qu’il s’agit d’êtres humains, que nous voulons persuader et gagner à notre cause. Mais nous savons aussi... que nous ne pouvons pas dépendre uniquement de la force de persuasion de nos arguments, même lorsque nous en avons un grand nombre à présenter. Nous n’obtiendrons des changements que lorsque nous aurons développé un pouvoir suffisant de la base pour donner du poids à nos paroles".

Extrait de la déclaration de la Fédération des groupes d’action non-violente sur les actions de l’automne dans le fossé de Fulda, 1984.

NOUVEAU

Nous allons publier en français le livre de Matthew Lyons The Grassroots Network.

Présentation J’ai vécu à Berlin-Ouest d’octobre 1983 à juin 1984. J’ai rejoint les membres du groupe Grassroots de Berlin lors des actions menées en novembre 1983 pour protester contre le déploiement de missiles de croisière et de missiles nucléaires Pershing II américains en Allemagne de l’Ouest. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec le réseau Grassroots. Lire la suite

Introduction
En septembre 1972, un homme de la ville ouest-allemande d’Augsbourg s’enchaîne à une plaque de rue dans le centre de Barcelone. Il porte des pancartes protestant contre la persécution des objecteurs de conscience par le gouvernement espagnol. Son arrestation et son emprisonnement pendant trois mois attirent l’attention sur la campagne internationale de protestation. Quelques mois plus tard, la peine maximale pour objection de conscience en Espagne est réduite de 18 ans à 3-8 ans. Lire la suite

Du début des années 50 aux années 70
Dans ce chapitre, je me concentrerai sur la période 1972-1974, depuis la fondation du journal Grassroots Revolution, jusqu’au moment où le réseau Grassroots a commencé à se concentrer sur l’opposition à l’énergie nucléaire. Lire la suite

Action non-violente, entre ville et campagne

Avant les années 1970, l’essentiel du militantisme populaire en RFA se concentrait sur les villes. La vieille gauche, qu’elle soit sociale-démocrate ou communiste, avait placé ses espoirs dans la classe ouvrière urbaine. Même le mouvement étudiant, tout en ouvrant de nombreuses nouvelles voies politiques, restait lié à l’accent marxiste traditionnel sur la lutte urbaine et tentait de former des alliances avec les travailleurs industriels.Lire la suite

Les Grassroots dans le travail antimilitariste
L’implication du réseau des Grassroots dans le travail antimilitariste a mis en évidence encore plus nettement que ses efforts écologiques à la fois les forces et les limites de son approche de l’action non-violente.Lire la suite

Nouvelles perspectives pour l’action non-violente
Après 1980, plusieurs facteurs ont contribué à l’émergence d’un climat politique plus favorable à l’action non-violente que celui des années 1970. Tout d’abord, le précédent du mouvement écologiste : la non-violence y avait été discutée, débattue et pratiquée par de nombreux individus et groupes qui sont restés actifs dans ce domaine ou qui se sont engagés dans le mouvement pour la paix.Lire la suite

La formation à la non-violence en crise
L’expansion soudaine du militantisme a mis à rude épreuve les collectifs de formation à la non-violence affiliés à la FÖGA. À Berlin-Ouest, par exemple, le nombre de formateurs est passé d’un groupe initial de quatre à environ deux ou trois douzaines en 1983. Beaucoup des nouveaux formateurs avaient peu d’expérience directe de l’action non-violente ; ils étaient eux-mêmes nouveaux dans le mouvement et n’étaient pas les mieux placés pour proposer des formations. Lire la suite

Conclusion
Comme nous l’avons vu, le réseau Grassroots est devenu un segment restreint mais influent d’abord du mouvement écologiste, puis du mouvement pacifiste. Ses contributions doivent être évaluées dans le contexte des limitations auxquelles il a dû faire face : une base sociale étroite, une petite taille, des ressources limitées, un taux de rotation élevé et la difficulté de coordonner les groupes locaux. Lire la suite



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