Avec l’aimable autorisation du Festival international du Film d’histoire
Mémoire(s) de la résistance allemande : Sophie Scholl, les derniers jours... de la plus qu’humaine ?
« J’ai appris le mensonge des maîtres, de Bergson à Barrès, qui rejetaient avec l’ennemi ce qui ne saurait être l’ennemi de la France : la pensée allemande, prisonnière de barbares comme la nôtre, et comme la nôtre chantant dans ses chaînes... Nous sommes, nous Français, en état de guerre avec l’Allemagne. Et il est nécessaire aux Français de se durcir, et de savoir même être injustes, et de haïr pour être aptes à résister... Et pourtant, il nous est facile de continuer à aimer l’Allemagne, qui n’est pas notre ennemie : l’Allemagne humaine et mélodieuse. Car, dans cette guerre, les Allemands ont tourné leurs premières armes contre leurs poètes, leurs musiciens, leurs philosophes, leurs peintres, leurs acteurs... Et ce n’est qu’en France qu’on peut lire Heine, Schiller et Goethe sans trembler. Avant que la colère française n’ait ses égarements, et que la haine juste des hommes d’Hitler n’ait levé dans tous les coeurs français ce délire qui accompagne les batailles [...], je veux dire ma reconnaissance à la vraie Allemagne... » Denise Bardet [1]
Après une belle carrière en Allemagne [2] et une moisson de prix (Ours d’argent, meilleur réalisateur, meilleure comédienne au Festival de Berlin 2005 et prix du public de la meilleure comédienne aux European Film Awards pour Julia Jentsch), Sophie Scholl Die letzten Tage (Sophie Scholl, les derniers jours Marc Rothemund), sorti en France le 12 avril 2006, a réalisé 23746 entrées la première semaine et finalement 83571 entrées sur douze semaines d’exploitation. Ces performances contrastées soulignent la persistance de quelques différences culturelles des deux côtés du Rhin. En effet, le réalisateur a choisi de mettre en images les derniers jours d’une héroïne de la résistance allemande au nazisme appartenant au mouvement appelé « die Weiße Rose », fort bien connu en Allemagne et... un peu moins en France.
Ce n’est pas le premier film consacré au groupe de La Rose blanche ; deux films rien qu’en 1982 : « Die Weiße Rose » (La Rose blanche) de Michael Verhoeven dont le temps filmique s’étend sur les dix mois de vie effective du groupe, de mai 1942 à mars 1943, et « Fünf letzte Tage » (Cinq dernier jours) de Percy Adlon qui choisit de concentrer son propos sur les derniers jours de l’héroïne vus par sa compagne de cellule, Else Gebel, pour faire le portrait d’une jeune femme face à la mort dans un huis-clos conforme à la tradition du Kammerspiel. Dans les deux films, Lena Stolze compose une Sophie Scholl également très convaincante : l’interprétation de cette grande figure constitue d’évidence une tâche qui dépasse la simple technique de l’acteur. Ce n’est vraisemblablement pas le dernier : un film américain a même été en projet (avec un casting formidable : Albert Finney, Liam Neeson, Tim Robbins, etc.) mais la sortie du film de Marc Rothemund et son succès auraient fait avorter l’entreprise. En revanche, c’est bien le premier qui a été en mesure d’utiliser les archives du Tribunal du Peuple [3] qui a jugé et condamné à mort les membres du groupe « die weiße Rose ».
Récupérées après la chute du mur de Berlin, dans celles de la STASI (de la Gestapo à la Stasi, ellipse terrible sur les malheurs du siècle), ces archives ont permis d’avoir accès aux procès-verbaux des interrogatoires et aux minutes du procès. Marc Rothemund a complété son travail de préparation en réalisant des entretiens avec les derniers témoins [4] ou les enfants de certains protagonistes.
Comme le sous-titre le dit bien, le temps du récit se confond avec les six jours derniers du mouvement, entre la décision de distribuer des tracts à l’université le mercredi 17 février et l’exécution de Sophie, de son frère Hans et de Christoph Probst le lundi 22 février 1943. La recherche documentaire sérieuse et la sobriété de la réalisation (après un fondu au noir, la date marquée sur l’écran ouvre un récit resserré sur Sophie avec une mise en scène fonctionnelle entièrement au service du propos, récit qui s’achève par une série de photographies des véritables protagonistes [5] de La Rose blanche) confèrent au film un caractère d’authenticité qui donne toute sa force au portrait de cette véritable héroïne : le silence qui suit la projection, les larmes dans les yeux des spectateurs ou les applaudissements attestent l’efficacité du propos et même si cela peut agacer la critique qui ne s’en laisse pas conter :
« Ours d’argent à Berlin en 2005, ce film édifiant accumule les clichés : musique ronflante, parallèle entre le flic chargé de l’instruction et Ponce Pilate, mystique de l’accusée qui regarde la lumière de sa cellule, juge éructant, dernière entrevue avec les parents avant la guillotine, dernière cigarette et glorification de La Rose blanche, groupe de jeunes résistants allemands qui appela à la chute du IIIe Reich. On aurait mauvaise grâce à prétendre que le martyre de cette fille laisse insensible, mais que de balourdises ! » [6]
Sophie refuse l’échappatoire que lui propose Robert Mohr (Alexander Held), l’agent de la Gestapo : plaider l’irresponsabilité en raison de son jeune âge. Au contraire, elle assume ses actes avec fierté [7], tient tête à Roland Freisler (André Hennicke), le procureur nazi hystérique et marche à la mort avec courage. Ce film constitue à l’évidence une leçon de conscience civique jusqu’au martyre dont la dimension christique, fidèle à la foi protestante de Sophie, est, à de nombreuses reprises, soulignée par la mise en images en particulier par les choix de l’éclairage (dans les ténèbres de la cellule, la lumière de la fenêtre illumine d’en haut le visage de Sophie) même si Marc Rothemund préfère y voir un symbole de liberté. [8] Certes, les toutes premières minutes du film la montrent bien s’amusant avec une amie à écouter Billie Hollyday comme le ferait toute jeune fille de son âge. Mais ce prologue ôté, son comportement par la suite représente la quintessence de l’héroïsme. En évoquant George Orwell
« L’important ce n’est pas de vivre, moins encore de réussir, c’est de rester humain » la Sophie Scholl du film incarne une figure plus qu’humaine : faisant face à la bestialité de ses bourreaux nazis, elle apparaît, ironie grinçante de l’histoire, comme la seule et authentique « Übermensch » !
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