Cette réunion doit nous inciter à nous remémorer la guerre civile espagnole qui commença avec le soulèvement du 17 juillet 1936, à 17 heures, de l’armée d’Afrique qui se rebellait contre le gouvernement national sorti des urnes en février de la même année. Le jour suivant, 18 juillet, ce mouvement s’étendit à de nombreux corps d’armée de la péninsule, auxquels se joignit la majorité de la Garde civile. Parmi les rebelles se trouvaient les généraux Mola, Sanjurjo, Cabanellas, Queipo de Llano et, évidemment, Franco qui terminera « généralissime et chef de toutes des armées ».
Parmi nous, certains ont vécu cette guerre, d’autres en souffrirent et d’autres encore l’étudièrent. Je ne me sens aucune envie pour en parler, mais plutôt à écouter ceux-là. Bien que les témoins directs ne puissent pas toujours nous donner la meilleure vue d’ensemble, nous avons le privilège, non seulement d’avoir des compagnons qui furent ces témoins-là mais qui également réfléchirent, partagèrent leur expérience avec d’autres, et ont ainsi une excellente vision de ces jours dramatiques.
Mais, alors que nous sommes prêts à débattre, je veux en profiter pour que nous pensions un instant à ce que cette mal nommée « guerre civile » représente comme expression d’un problème social plus profond qui nous afflige et qui se trouve fortement accentué au XXe siècle : la violence [1].
Violence qui est le résultat d’une destruction massive des liens sociaux qui atteint toutes les constructions collectives et qui tend à instituer la panique réciproque comme unique lien collectif de survie possible [2].
Je tiens à préciser que si je dis « mal nommée » la guerre civile espagnole c’est parce que cela fait quelque temps que toutes les guerres sont civiles, qualifiant en cela les acteurs d’une guerre. Lorsque Napoléon conquit l’Europe, ou quand Clausewitz écrivit ses études, on était certain que la guerre était une affaire essentiellement de militaires et que les civils n’étaient affectés que sporadiquement. En revanche, le XXe siècle a « démocratisé » la guerre, il l’a rendue totale et en a fait l’affaire de tous. La population est complètement impliquée, on massacre des villages entiers, on détruit des villes entières, on déporte des populations sans distinction ; enfin, tous sans exception, nous travaillons et payons pour la guerre avec nos vies et nos biens. La guerre est moins une affaire d’armées que de gens au service des marchands et des hommes cherchant le pouvoir, tout cela déguisé sous les noms de liberté, libération, révolution, ou autres appellations similaires.
Depuis cent ans, les membres de la société spécialisés pour la guerre, les militaires, sont seulement les metteurs en scène d’une pièce dont les civils sont les acteurs, qui eux en souffrent, en meurent et entretiennent ces militaires, les payent et en supportent toutes les conséquences.
L’histoire montre cette progressive participation des civils dans des guerres à chaque fois plus importantes.
Aux XIe et XIIe siècles, pour déclarer une guerre, le roi disposait d’un nombre peu élevé de vassaux qui le servaient tout au plus de 40 à 45 jours par an, au cours d’actions très limitées et localisées. Pour tout autre effort, on devait recourir à des mercenaires, guerriers à la solde, des /soldats/ qui se faisaient payer très cher. Par exemple, la croisade en Aragon au XIIIe siècle dura trop longtemps, plus de 150 jours, et ne fut rendue possible que parce qu’on ajourna le paiement de la dîme à l’Église pour recueillir des fonds. C’étaient des temps de petits pouvoirs et de petites guerres. Lire la suite