Extrait :
Le statut d’objecteur de conscience est créé en 19638. Il est obtenu, au lendemain de la guerre d’Algérie, suite à la grève de la faim menée par Louis Lecoin . Jusque-là, les jeunes qui refusaient de « porter les armes » étaient systématiquement condamnés par les tribunaux militaires à des années de prison... militaire.
Libérés après des mois, plus souvent des années, ils étaient attendus à la sortie de la prison par des représentants de l’armée ; comme ils n’avaient pas « satisfait à leurs obligations militaires », ils étaient sommés de prendre l’uniforme et leur « refus d’obéissance » entraînait une nouvelle condamnation. Le cycle pouvait ainsi durer jusqu’aux 40 ans de chacun. Cette situation restera celle des insoumis, y compris après la création du statut d’objecteur. La loi arrachée en 1963 est très restrictive. Elle impose une durée de Service double : c’est donc pour une parenthèse de deux ans que s’engagent les objecteurs des années 1970. La demande n’est acceptée que si elle vise à satisfaire « des convictions religieuses et philosophiques » : toute démarche collective, donc politique, aboutit à un refus. Une commission juridictionnelle statue à huis clos à partir du seul courrier de chaque demandeur ; ses décisions sont sans appel : ses membres sont désignés par le gouvernement et elle est composée pour moitié de militaires. La période durant laquelle peut être faite la demande est très limitée’ : la forclusion sera opposée à de nombreux jeunes qui ne pourront de ce fait obtenir le statut. D’autant que cette loi a une particularité de taille : il est interdit de la faire connaître, toute propagande pour le statut d’objecteur de conscience étant interdite par la loi qui le crée !
Pour ceux qui obtiennent le statut d’objecteur, il faut donc accomplir deux ans de service civil. La politique gouvernemeritale concernant les affectations a fluctué au fil du temps ; mais bien vite un problème fondamental apparaît : il y a un risque évident que les objecteurs soient utilisés à des tâches qui devraient être dévolues à des salariés, mieux payés et en droit de s’organiser syndicalement. La première insoumission au service civil a lieu en 1966 ; Gilles Frey déserte pour « protester contre les conditions d’hébergement, d’emploi et de subsistance »".
La situation va se généraliser, notamment dans la période de l’après-68. Le pouvoir réplique en alternant mesures de réformes qui écartent une partie des réfractaires et poursuites judiciaires pour tenter d’intimider d’autres. Mais le mouvement s’amplifie et s’organise. Les Comités de soutien aux objecteurs de conscience (CSOC) sont créés ; il y en aura bientôt une centaine dans le pays.
« Les CSOC apportent leur appui à ceux qui se voient refuser le statut, comme à ceux qui n’en veulent pas, chaque arrestation ou procès leur donnant l’occasion de dénoncer la politique militaire, des ventes d’armes à l’armement atomique, du service militaire aux interventions impérialistes. » « Chaque année, il y a maintenant davantage de nouveaux objecteurs qu’il n’y en a eu jusqu’alors en six ans. » Encore une fois, l’État réprime. Les procès se multiplient : d’abord pour avoir fait connaître le statut d’objecteur. Mais, même des tribunaux aux ordres ont du mal à trouver les motifs permettant de sanctionner des gens qui ont... fait connaître une loi.
Alors, les chefs d’inculpation varient : « incitations de militaires à la désobéissance », « provocations à l’insoumission », et le fameux « injures à l’armée », tant de fois utilisé contre des journaux militants ! Tous ces épisodes sont motifs à des actions de propagande des CSOC et de divers groupes antimilitaristes locaux.
En avril 1972, le gouvernement décide d’affecter tous les objecteurs, pour leur première année, à l’Office national des forêts (ONF). La majeure partie va refuser, parce que c’est une décision totalement arbitraire, parce qu’ils ne souhaitent pas participer au massacre écologique de la forêt, parce qu’il n’est pas question de servir un dumping social programmé au détriment des salarié-es de cet organisme. D’autant que le décret, dont les termes seront ensuite introduits dans le Code du service national, précise qu’ils « ne doivent participer à aucune réunion de caractère politique ou syndical », « toute réclamation collective, toute cessation concertée du travail sont interdites ». Mais ils sont « tenus au devoir d’obéissance » et doivent « servir avec loyauté et dévouement », « s’interdire tout acte, propos, ou attitude contraires aux intérêts de la nation ». Assignation à résidence, permissions et punitions sont aussi prévues. Bref, c’est... le régime militaire. Inacceptable pour des objecteurs de conscience antimilitaristes ! Dès lors s’organise un vaste mouvement qu’on appellera l’objection-insoumission. Ces réfractaires n’ont pas fait le choix de l’insoumission totale, ils sont objecteurs de conscience, mais insoumis aux affectations. Dans la lutte, la prise de conscience s’accélère. L’antimilitarisme est de plus en plus revendiqué. Il est vrai que dans la même période, l’institution militaire multiplie les « entraînements à la guérilla urbaine » et les manœuvres ayant pour thème « la subversion intérieure ».
Les groupes antimilitaristes informent sur le rôle de l’armée : le quadrillage du territoire est systématique chaque salarié a une « affectation de défense » : dès lors que « les conditions l’exigent », chacun d’entre eux peut être assimilé à un militaire ; une absence devient alors une désertion, un ordre non exécuté est un refus d’obéissance...
En 1974, les Comités de lutte des objecteurs (CLO) mettent en place, puis se coordonnent nationalement et se dotent d’un journal bimensuel, Objection. Ils éditeront un Guide pratique de l’objection de conscience, diffusé des dizaines de milliers d’exemplaires. Les procès ayant échoué à faire cesser la vague d’insoumission aux affectations, le gouvernement use d’une autre tactique. Fin 1974, il élargit les possibilités d’affectation aux bureaux d’aide sociale et au Secrétariat d’État à la Culture (plus précisément po’ les fouilles archéologiques). Le social, la culture, voilà qui devrait calmer ces jeunes ! n’en n’est rien ; une fois de plus, la politisation propre à chaque mouvement social : à chaque lutte collective, a joué. Ce ne sera plus les raisons personnelles, les légaux motifs « religieux ou philosophiques » qui les guident, mais la volonté de transformation sociale. Pas question d’accepter d’affectations toujours autoritaires ; pas question de se soumettre à des règles dignes des casernes ; pas question de servir de main d’œuvre se substituant aux salariés ! Les CLO vont faire un patient travail d’information vers les structures syndicales trouvera un écho essentiellement au se de la CFDT. Dans le numéro 48 d’Objectif en juin 1976, la fédération générale de l’ai culture, la fédération de la santé et celle c affaires culturelles" dénoncent « ce bénévolat imposé par le pouvoir qui tend ainsi à masquer les besoins d’effectifs des différents secteurs, en employant des jeunes pour des sommes dérisoires ». Ces fédérations syndicales affirment « comprendre pleinement le refus affectation autoritaire [...I qui mutilerait leur individualité et leurs conditions de travailleurs et font part de leur « soutien aux revendications des objecteurs ».
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