Happening chez les provos
Anarchisme et non-violence n°11-12 (janvier/fevrier 1968)
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En marge des revues publiées à Amsterdam, en Belgique ont été lancées quelques publications du provotariat. L’une d’elles semble, à ce jour, avoir englobé l’ensemble de ce qui s’éditait, si bien que « Révo » semble être le porte-voix du provotariat de la région d’expression française de Belgique.

Mais ce sont plus particulièrement les happenings qui retiendront notre attention. Nous nous risquerons à en préciser leur contenu, leur valeur et leur répercussion.
Quelques-uns furent organisés à Bruxelles à l’instar d’Amsterdam. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un happening ?

Il s’agit d’un mot anglais qui signifie action spontanée ; donc un happening, d’après les provos-révos, est avant tout une manifestation non organisée dans le sens habituel du terme. Certains happenings furent très réussis et méritent d’être signalés comme exemples d’action ou de réaction contre le milieu dangereux qui robotise l’humain.

Les provos-révos ont choisi la journée du samedi pour leurs exploits, car ils estiment que ce jour est celui où le public est plus nombreux, se promenant ou flânant dans les rues de la capitale. La place Brouckère, située en plein centre de Bruxelles, est devenue une réplique de Hyde Park, où, en toute liberté, chacun peut prêcher ses idées, aussi subversives soient-elles.

Les provos veulent se livrer à leurs manifestations librement, mais les pouvoirs publics ne l’entendent point ainsi et, à chaque coup, les chassent, non sans se montrer d’une brutalité rigoureuse. Cependant, en d’autres circonstances, l’Armée du Salut ou les Témoins de Jéhovah peuvent officier, eux, en toute quiétude.

Il est facile de concevoir le pourquoi de ces deux poids et deux mesures, sachant que les uns prêchent par la prière, la résignation et la promesse d’un paradis meilleur après la mort, tandis que les autres prêchent l’esprit de révolte contre les tabous sociétaires, et entendent vivre leur paradis sur terre !

Alors intervient l’ordre ! II faut qu’on le respecte, et les polices surgissent et… c’est le désordre.
Car, il faut le reconnaître, ces happenings silencieux et non violents ne peuvent en rien troubler l’ordre, mais simplement éveiller la raison, le bon sens, provoquer des réflexions dans la conscience endormie des promeneurs. C’est peut-être trop déjà pour la stabilité du système social et, de plus, l’autorisation n’a pas été sollicitée. Là est le crime !

Une pomme « pointée » est le symbole de leur indépendance. Les provos la dessinent partout où ils peuvent.

Le soir du 5 novembre 1966, l’un d’eux reste immobile, debout sur le point de la pomme dessinée sur l’asphalte de la place, voulant ainsi représenter le symbole vivant de la liberté. Tout autour de lui tournent une quarantaine de provos. Mais, bientôt, le désordre surgit. On matraque « ces promeneurs » dangereux, on les tabasse et on en arrête quelques-uns. Le happening a démontré que la liberté est un vain mot dans le système social présent. Aux promeneurs d’y réfléchir.

Un autre exemple :
Pour attirer l’attention du public, sur les cinq anarchistes victimes de Franco, anarchistes menacés d’être garrottés par les sicaires du dictateur, les provos se sont donné rendez-vous le 19 novembre. Un jeu scénique est organisé. Un provo mime les gestes du bourreau, tandis que d’autres distribuent des tracts. Le dénouement est inattendu, car, à l’arrivée de la police, le provo « bourreau » souriant va, les mains tendues, vers l’officier de police. Ce dernier, d’abord troublé, réagit peu après et fait embarquer notre provo, bientôt brutalisé. Ceci détermine un spectateur à gifler un flic. Une certaine confusion s’ensuit ; un journaliste est empêché de photographier la scène. Le happening se termine par les cris « Provo-Liberté, Provo-liberté », scandés et repris en chœur.

Le happening suivant sera une protestation contre la censure « qui frappe toutes les informations en provenance du Vietnam ». Les provos collectent, en vue d’envoyer leur propre reporter.

Le 3 décembre 1966, un happening-surprise dénonce le pouvoir qui empêche « la libre expression sur la voie publique ». La place de Brouckère est repérée. Bien avant eux, la police les attend. Au milieu de la place, un jeune homme et une jeune fille s’assoient. Ils seront bientôt interpellés par un policier et embarqués. Mais la foule des promeneurs s’est approchée et les journalistes présents commentent les agissements, tandis que d’autres provos distribuent une circulaire déclarant que 106 des leurs ont été arrêtés en six semaines et que les brutalités policières sont monnaie courante. Il n’y a pas de liberté d’expression. C’est ce qu’il fallait démontrer !

Le mardi suivant, les provos organisent à l’occasion de la Saint-Nicolas une distribution de « pommes blanches » (se souvenir des bicyclettes blanches d’Amsterdam). C’est là une opération de provocation contre la propriété. Le tract distribué porte quelques explications sur les pommes offertes aux promeneurs à l’entrée des grands magasins.

Un happening-réveil est ensuite provoqué en vue d’attirer l’attention du « robotariat sur le crime qui se commet en permanence contre l’enfance vietnamienne par l’aviation américaine ». La place, une nouvelle fois, est interdite par les services d’ordre. Les provos distribuent leurs tracts sur les trottoirs aux alentours. Repérés, ils sont bientôt pris en chasse. On essaie de les disperser, tandis qu’ils scandent le slogan : « Provo-anarchie, provo-liberté. »

Peu après, les provos se sont joints à une manifestation contre le Shape venu s’implanter en Belgique. Ceux d’Anvers, de Liège, de Gand et de Bruxelles se sont groupés, et place de Brouckère, toujours, a lieu une scène burlesque.

Dans le courant de la semaine suivante, un aveugle, vendeur de billets de tombola, est assailli et dévalisé par de jeunes vauriens. Les provos réalisent un happening « canne blanche ». Ils distribuent des tracts qui racontent l’agression et demandent aux passants de contribuer à indemniser l’aveugle. La police survient et saisit la collecte de 200 F. Celle-ci n’a jamais été restituée. La police a démontré elle-même qu’elle est une organisation antisociale.

La semaine suivante, le thème du happening portera sur la saisie de l’argent destiné à l’aveugle dévalisé. La police est mobilisée, mais les provos réussissent à distribuer leurs tracts à la sauvette. Le happening a pleinement réussi puisqu’il a rendu « furibonds » les soutiens de l’ordre.

Au début de l’année 1967, les provos émigrent vers un autre quartier de la ville. Ils choisissent, cette fois, les escaliers d’une église. Parvenus à hisser un drapeau blanc où se dessinent la pomme et, en toutes lettres, provo, ils font brûler une botte de paille. L’attention des passants est attirée. Un provo en profite pour exhorter les gens à protester contre la guerre au Vietnam, contre la déclaration de Spellman, ce cardinal militariste et jusqu’au-boutiste. On distribue des tracts ; le public réagit favorablement, sauf un quidam pris à partie par des promeneurs. Le provo, chargé de la surveillance du feu, est arrêté par les gendarmes, ainsi que deux distributeurs de tracts. Surgissent un car et la voiture des pompiers ; les hommes de l’ordre en restent penauds, mais n’hésitent cependant pas à pénétrer dans l’église, à la recherche d’un provo qui s’y est réfugié. Ils entrent, matraque à la main et sans se découvrir… ce qui provoque l’indignation des croyants. Ils s’en retournent bredouilles mais se vengent en arrêtant une dizaine de personnes, toutes étrangères aux provos.

Ainsi, de happening en happening, les provos attirent l’attention des promeneurs du samedi, sur les problèmes de l’heure et sur l’essentiel de ce qu’il faut penser. Leurs faits et gestes ont-ils une valeur d’enseignement ? On ne peut le contester, puisqu’ils attirent chaque fois l’attention sur un tas d’idées trop souvent ignorées du grand public.

En éveillant ainsi les esprits, ils aident à réfléchir et dans la faillite morale autant que matérielle, dans laquelle surnagent les individus, ces éléments subversifs affirment vouloir vivre sans contrainte religieuse et politique.

Ils réagissent contre le pouvoir, dissolvant de l’individu, font fi des traditions et proclament qu’ils « défient le pouvoir par leur anarchie et leur indépendance ».

Ils se dressent contre la guerre, toutes les guerres, et ce défi au pouvoir reste leur sauvegarde, car le pouvoir, l’armée, c’est Hiroshima et Nagasaki.

Qui songerait à leur nier le droit à l’existence ?

Non violents, les provos-révos poursuivent leur propagande avec des hauts et des bas, et c’est humainement normal. Ils font leur expérience de la vie. Le public doit les encourager, au lieu de passer indifférent, en souriant, sans plus.

Hem Day




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