Mourir sans douleur si je veux, quand je veux.
Publié dans le "Monde libertaire" du 27 mars 2008 et mis à jour le 5 mai 2008.

Pour imposer le droit à l’aide au suicide (à être aidé et à aider), une seule solution, l’action directe sans violence : s’organiser comme les femmes dans les années 1960-1970 (« avoir un enfant si je veux, quand je veux »).

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Pour imposer le droit à l’aide au suicide (à être aidé et à aider), une seule solution, l’action directe sans violence : s’organiser comme les femmes dans les années 1960-1970 (« avoir un enfant si je veux, quand je veux »).

1.Chantal Sébire avait demandé qu’on l’aide à mourir [1]. Les grands médias en parlaient. L’ADMD (Association pour le Doit de Mourir dans la Dignité) soulignait l’hypocrisie de la loi Leonetti (la loi du « laisser mourir »), qui refuse à l’intéressée le suicide assisté, et ne lui offre pas d’autre perspective que d’être plongée, à force de « soins palliatifs », dans un état comateux ou semi-comateux qu’elle refuse.

L’intéressée avait des chances d’obtenir satisfaction : une maladie certifiée par les médecins « incurable et douloureuse », une démarche encadrée par une association française, fondée en 1980 et forte de plus de 44 000 adhérents, une opinion publique qui a beaucoup évolué depuis 40 ans (moins vite, il est vrai, en France que dans les pays européens de tradition protestante) et qui est particulièrement sensible à ces deux propos de Chantal Sébire : « C’est moi la seule souffrante, c’est à moi de décider » ; et : « C’est le dernier combat que je peux mener ; s’il ne me sert pas directement, qu’il serve au moins à d’autres après moi. »

Sans attendre aucune autorisation officielle, l’intéressée a réussi à se suicider, probablement avec l’aide de son entourage.

2. Pour l’ensemble de la population, c’est la même situation qu’il y a 40 ans, avant la loi Neuwirth autorisant la pilule (1967) et la loi Veil autorisant l’IVG (1975) : opposition de l’église catholique, de l’ordre des médecins et de la majorité des « représentants » de la Nation, toutes tendances confondues.

Soyons clairs : il s’agit que soit reconnu à tous le droit à l’aide au suicide, c’est-à-dire, inséparablement le droit d’être aidé et, sauf « mobile égoïste », celui d’aider au suicide. Il s’agit d’en finir avec les ambiguïtés (fréquentes dans les questionnaires des sondages et dans les discours officiels, y compris ceux de l’ADMD) inhérentes aux termes comme « dignité », qui occulte la motivation constante des intéressé-e-s, éviter de souffrir, et comme « euthanasie », qui ne précise pas que la décision appartient exclusivement à l’intéressé-e, seul-e juge du maximum de souffrance qu’il ou elle peut supporter. Il est probable que, pour la grande majorité des adhérent-e-s à l’ADMD :

– le droit d’être assisté dans son suicide ne doit pas être réservé au malade que les médecins ont déclaré incurable après un long calvaire ;

– ce droit doit être reconnu à tout être humain – quels que soient ses motifs et les causes, physiques ou sociales, de sa souffrance – qui déclare de façon constante souhaiter « une aide active à une délivrance douce » ou qui, dans l’impossibilité de s’exprimer, est arrivé à l’état qu’il avait prévu dans une déclaration antérieure de volontés ;

– ce droit doit être reconnu aux majeurs emprisonnés ou juridiquement incapables et aux mineurs, avec les précautions qui vont de soi : il ne s’agit pas de placer des distributeurs automatiques de cocktail létal dans les cours des prisons et des établissements d’enseignement, dans les couloirs des immeubles de bureaux, dans les vestiaires des usines, ni d’abandonner les vieux aux appétits de leur famille ou aux aléas du manque de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite !

3. Le suicide n’est plus un délit en France depuis 1810, mais il est toujours interdit par l’église catholique, et les tentatives de suicide en prison sont punies. Dans les siècles passés, il arrivait qu’on achève sur sa demande, à la guerre, un copain blessé, ou, dans son lit, un malade. Mais c’était toujours clandestinement, et l’agonie était largement acceptée comme inévitable, et officiellement justifiée par la valeur rédemptrice de la souffrance. Seulement voilà, au moins dans les pays « riches », en même temps que la durée moyenne de la vie humaine augmentait sans que disparaissent ni la misère, ni les accidents, ni les maladies, ni les inconvénients de l’âge, on a heureusement mis au point quelques moyens de se suicider sans douleur et sans risque de se rater.

Actuellement, en France, on en est encore aux moyens de suicide artisanaux, douloureux et aléatoires. Bien sûr, le chemin sera long pour retrouver, après 2 000 ans de christianisme et quelques siècles de soumission au nom de la Raison, le regard apaisé de l’Antiquité gréco-latine sur la sortie volontaire du banquet de la vie. Il s’agit, sur ce point comme sur d’autres, de changer de civilisation.

4. L’ennui, c’est qu’en France, l’ADMD actuelle veille à ce que le droit d’aider au suicide soit réservé aux médecins. C’est le sens du projet de proposition de loi préparé par l’état major de l’ADMD pour « améliorer » la loi Leonetti. L’adoption de ce projet par la « représentation » nationale m’aurait réjoui dans les premières années de l’association (j’ai adhéré dès sa fondation) comme une étape vers la reconnaissance du droit à l’aide au suicide. Mais j’y vois aujourd’hui un piège : la législation bloquera la situation, les médecins garderont le pouvoir dans un domaine qui semble au contraire, à une majorité d’adhérents, devoir être démédicalisé au maximum. Et je ne suis pas le seul à prévoir ce blocage.

Voici par exemple comment une responsable de l’ADMD à justifié sa récente démission : « [Ce projet] continue à donner une place prépondérante au corps médical et occulte complètement le souhait de nombreux adhérents, dont moi-même, de ne pas attendre d’être en phase terminale pour obtenir une aide. Je reconnais que, si nous obtenions cette loi, ce serait une avancée [légalisation de l’euthanasie] par rapport à la loi Léonetti, mais elle laisse de côté tous les adhérents qui souhaitent une aide lorsqu’ils sont très âgés et estiment qu’ils veulent arrêter là leur route. Si l’on annonçait clairement que ce n’est qu’une étape je pourrais l’admettre, mais ce n’est pas le cas. »

La question urgente « Comment nous procurer le cocktail létal ? » a été posée dès la fondation de l’ADMD, et elle avait trouvé un début de réponse par la brochure « Autodélivrance » (1e édit. 1982, 2e édit. 1985), qui fournissait aux adhérents, et à eux seuls, les meilleurs renseignements existant à l’époque pour se suicider. L’ADMD en a suspendu la diffusion en 1988 afin d’obéir à la loi, votée à la sauvette le 31 décembre 1987, qui facilite les poursuites pour « provocation » au suicide (avec la même hypocrisie que la loi de 1920, qui interdisait, en même temps que les moyens contraceptifs autres que « naturels », toute « provocation à l’avortement »). Le Bureau actuel veille à ce que les nouveaux adhérents ignorent l’existence même de cette brochure.

Cette censure est un cas particulier d’un immobilisme qui s’est accru au cours des années. Recours à des euphémismes (mourir dans la « dignité », avec « décence »...), déclarations contradictoires à propos de l’« euthanasie », structures et fonctionnement peu démocratiques (élections au CA sur individus et non sur programmes, délégués départementaux nommés par le CA, etc.). Silence sur les motifs réels de certaines démissions, en dernier lieu celle d’Henri Caillavet, qui a longtemps présidé l’ADMD. Pour en savoir plus sur son « désaccord avec les deux précédents présidents » (évoqué par le Bureau sans autres précisions dans le bulletin de nov. 2007), il fallait lire Le Monde des 25-26 novembre 2007, qui révélait la raison avancée par l’intéressé : « Je suis parti parce que l’association ne défend plus le suicide assisté ».

5. L’Ordre moral qui a réussi le 31 décembre 1987 à créer un délit de « provocation au suicide » se trouve maintenant au pouvoir, dans l’ADMD (qui a pour président un ancien secrétaire national de l’UMP) comme à la présidence de la République. Je sais que la droite n’est pas unanime derrière Madame Boutin : on n’est pas nécessairement cul-bénit à l’UMP. Mais on ne sort pas de l’Ordre moral : sous prétexte de compétence, on maintient les hiérarchies de domination quand il s’agit du pouvoir médical. Derrière le refus du suicide assisté pour les vieux, il y a la crainte d’une épidémie de suicide chez les pauvres, chez les emprisonnés, épidémie qui confirmerait la faillite d’un système social.

6. Si on ne se résigne pas à la débrouille individuelle (pour les plus riches, ça consiste à se faire suicider à l’étranger, comme, au siècle dernier, on s’y faisait avorter), il reste une solution, l’action directe sans violence : s’organiser comme les femmes dans les années 1960-1970 (manifs pour « Avoir un enfant si je veux, quand je veux », Manifeste des 343, Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception...). La récente pétition de l’ADMD intitulée « Nous, soignants, avons en conscience, aidé médicalement des patients à mourir humainement... » est une première étape dans ce sens. Soignants et non soignants peuvent constituer un réseau d’entraide, imaginable sous diverses formes et disposant du cocktail létal y compris hors milieu hospitalier. La tâche de s’assurer de la volonté du candidat au suicide, et de l’entourer dans ses derniers moments ne relève pas essentiellement de compétences juridiques ou médicales, mais de la qualité des relations entre individus.

Misère, prison, accident, maladie, vieillissement, nous sommes tous concernés.

François Sébastianoff

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Notes :

[1Texte rédigé quelques jours avant le suicide de Chantal Sébire, publié dans le Monde libertaire du 27 mars 2008 et mis à jour le 5 mai 2008.




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