Un champ de bataille comme alternative à l’OTAN ?
Article mis en ligne le 18 août 2023

Strasbourg, 4 avril 2009 :Texte publié là

Déjà tout vu et entendu en détail de la manifestation contre l’OTAN du 4 avril 2009 à Strasbourg. Je ne vais donc pas en faire le récit. Mais livrer quelques impressions, analyses et conclusions personnelles.

Le sommet de l’OTAN à Strasbourg : une occasion unique de mettre sur le devant de la scène le débat sur les interventions militaires en Afghanistan, sur l’impérialisme occidental ou encore sur la militarisation de la société. Le système démocratique avait de lui-même commencé à révéler qu’il n’était pas soluble dans le militarisme : les restrictions de liberté aberrantes qui avaient été mises en place à Strasbourg avaient confronté une large part de la population aux contradictions entre armée et démocratie. Il ne suffisait plus, pour ainsi dire, qu’à pousser la porte qui avait été ouverte. Une ville quadrillée, les libertés des citoyens bafouées, un Etat policier, tout cela pour quelques milliers de manifestants pacifiques venus témoigner de leur horreur de la guerre et de l’impérialisme occidental : le contraste eut été saisissant.

Malheureusement, il n’en a pas été ainsi. Quelques centaines d’activistes sont parvenus à renverser la signification de cet événement au profit des gouvernants sans scrupule qui se réunissaient plus loin, et de leur police. Le déploiement policier ainsi que la répression qui ont eu lieu se sont transformés en une légitime protection policière face à une vague de dévastation aveugle déferlant sur la ville. La violence et la destruction ont changé de camp. Ces activistes ont tendu le bâton qui nous a fait toute-s battre, physiquement et politiquement.

Si j’étais en charge du Ministère de l’Intérieur, de la Préfecture, de l’armée, du déroulement de ce sommet de l’OTAN, j’aurais tout fait pour que la manifestation dérive dans le sens où elle a dérivé. Je n’aurais pas simplement remercié en mon for intérieur les collaborateurs dévoués qui ont agi de la sorte, j’aurais mis tous les moyens en oeuvre pour qu’il en soit ainsi. D’où je parle

Mais avant d’aller plus loin je dois préciser d’où je parle. Je me sens plutôt libertaire. J’ai une expérience des mouvements non-violents et des actions de désobéissance civile. Ces dernières années, j’ai fréquenté des personnes qui se revendiquent proches de la mouvance autonome. Nous avons pu avoir de longues discussions sur nos sensibilités, nos moyens d’action, qui m’ont fait traverser la frontière des préjugés les plus répandus contre ces formes d’action considérées comme « extrémistes », dont j’ai pu sentir et comprendre pour une part la sensibilité et la logique. J’ai pu avancer dans la compréhension de certaines formes d’action que je n’utilise pas ni ne cautionne. Nous avons pu apprendre à nous respecter, et pour cela il en a fallu des heures d’âpres débats où l’on maîtrise sa colère, et des actions communes. Mais revenons à nos moutons.

Définitions

Prendre en sandwich des manifestants pacifistes, certains invalides ou âgés, en les encerclant littéralement d’actes de casse et de confrontation armée avec la police, ne correspond pas à la définition que je me fais du respect.

Monter sur une butte pour caillasser, cagoulés, les forces de l’ordre qui se trouvent de l’autre côté, puis courir se cacher dans la foule, non-préparée, qui endure collectivement les ripostes (bombes lacrymogènes et assourdissantes, charges, flashballs), ne correspond pas à la conception que je me fais du courage.

Dans une atmosphère de chaos complet, de nombreuses personnes sous le choc, certaines en pleurs, hagardes d’émotion, se replient comme elles peuvent du front où se livre la bataille vers l’arrière, et pour cela passent en file au milieu de l’étroit passage qui leur est laissé dans un barrage de policiers-robocops. Ces derniers les visent à la tête avec des flash-balls en les suivant au viseur, à à peine deux mètres d’eux. Quand ces personnes lèvent les bras en l’air pour passer, en guise de « drapeau blanc », venir les voir et leur dire sur un ton méprisant « sois un vrai homme, baisse tes mains, tu n’as pas de fierté, baisse les mains, be a real man », correspond par contre tout à fait à ma définition du virilisme (qui est un pilier de la culture militaire, soit dit en passant).

Brûler la pharmacie qui est l’un des uniques commerces restants du quartier populaire le plus pauvre de Strasbourg, ne me semble pas être un moyen d’action ni un objectif particulièrement pertinent pour lutter contre l’OTAN.

Jeter des pierres sur des policiers-robocop, faire reculer une poignée de policiers de quelques mètres avant de s’enfuir, ne rentre pas non-plus dans mes motifs de fierté.

Enfin pour moi, assumer mes actes c’est accepter de me mettre éventuellement en danger, sans mettre en danger les autres contre leur volonté. Mais visiblement, nous n’avons pas tous le même dictionnaire.

La non-violence ?

Soyons clairs. Il n’y avait pas la non-violence d’un côté, la violence de l’autre. Manifester en cortège n’a pas plus à voir avec une action non-violente que casser une vitrine. En réalité, la manifestation telle qu’elle était prévue par les grandes organisations était sans doute une action « sans violence » mais en aucun cas une « action non-violente » (c’est à dire une action qui s’inscrit dans la dynamique de la non-violence active). Les actions non-violentes dont nous avons entendu parler lors de ce contre-sommet se sont notamment déroulées le matin même du 4 avril à l’initiative de certains mouvements allemands ainsi que des « Désobéissants », et ces actions de blocages, qui ont parfois tenu quelques heures, auraient été plutôt réussies selon les échos que nous en avons eu de part et d’autre.

Mais revenons à notre champ de bataille. Alors que la manifestation est bloquée par la police devant un goulot d’étranglement, et que les cagoules noires s’avancent vers l’avant du cortège, des militants pacifistes tentent de les bloquer par une chaîne humaine. C’est peine perdue d’avance, et la partie est vite perdue en effet : les cagoules sont les plus fortes à ce bras de fer. On est alors dans une logique où c’est la force physique qui donne raison. Ce sont ceux qui ont la puissance physique d’écraser les autres qui font prédominer leur logique. Ce sont donc les cagoulés.

Aurait-on pu faire autrement à ce stade de la manifestation ? Comment aurait-on pu éviter, à ce moment, le dérapage dans une atmosphère de guerre ? En dépit des apparences, cela ne me semble pas être la bonne question. En effet, une fois que le décor est en place, il est difficile d’échapper à certains scénarios.

La non-violence se joue avant...et ailleurs.

En réalité, une fois que les éléments sont réunis, il devient difficile d’échapper aux conséquences logiques de la situation. Si vous mettez du lait dans une casserole sur le feu, ne vous étonnez pas que la casserole déborde. La non-violence n’est pas une recette magique que l’on applique à toute situation.

Dans le cas qui nous intéresse, avoir le souci de la non-violence dans l’action revenait à s’y prendre différemment dès la préparation de l’action. Réunir des autonomes et des pacifistes en masse au même endroit et au même moment est une configuration qui pouvait difficilement déboucher sur l’harmonie. Pas besoin d’être devin pour le savoir d’avance. C’est donc au niveau de la préparation qu’il semble important de mettre en place des scénarios réalistes pour éviter de déboucher sur des traumatismes collectifs comme celui-ci.

Mais je crois qu’il faut aller beaucoup plus loin : la non-violence commence dès l’analyse de la situation. Ce n’est pas par simple folklore que les formations à la mise en place de campagnes d’action non-violente commencent par « l’analyse de la situation ». Cette analyse préalable des forces en place, des systèmes de pouvoir, des alliés potentiels, du contexte social, géographique, culturel, de la distribution des responsabilités, etc., conduira à adapter chaque campagne, chaque action, à ce contexte à chaque fois différent.

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Strasbourg, 4 avril 2009 : un champ de bataille comme alternative à l’OTAN ?