Penser globalement, agir localement
Wolfgang Hertle
Article mis en ligne le 15 août 2023

Du 6 au 8 juin 2007, s’est tenue à Heiligendamm, petite station balnéaire dans le nord de l’Allemagne, près de Rostock, la réunion annuelle du G8. Comme à chaque fois que ce type de rencontre a lieu c’est l’occasion pour nombre de manifestants anticapitalistes, altermondialistes, etc., de se rassembler pour tenter un blocage de cette manifestation des huit plus riches pays du monde. La première action a été l’occupation d’un terrain anciennement occupé par l’armée de l’air russe et que voudrait utiliser son homologue allemande, à mi-chemin entre Berlin et Rostock. Cet emplacement est une lande, heide en allemand, et c’est à sa libération (frei) que se mobilise la région. Le texte qui suit se veut uneréflexion sur la tournure non violente de ces manifestations

Parmi les manifestations de Pâques, qui se déroulent chaque année dans toute l’Allemagne depuis une quarantaine d’années, c’est la FREIe HEIDe qui réunit, depuis dix ans, le plus grand nombre de participants revendiquant un monde sans guerre. A titre de comparaison, en 2007, la manifestation dans Berlin ne comptait qu’environ 1 000 personnes contre 10 000 sur les landes.

La FREIe HEIDe est une Bürgerinitiative (initiative citoyenne), animée par une partie des habitants de cette région pauvre qui présente un taux de chômage élevé depuis la chute du Mur. Chute qui a entraîné des changements économiques et politiques importants qui n’ont laissé que peu de perspectives à ceux qui sont restés dans la région. Son atout, c’est d’abord une nature relativement intacte qui a permis de créer des emplois dans le tourisme, dans l’agriculture biologique ou dans des entreprises dites « vertes », par exemple dans le secteur des énergies renouvelables.

Il faut dire que l’antipathie des habitants pour le projet d’un « bombodrome » ne vient pas forcément de leur conviction antimilitariste, mais plutôt d’une nécessité existentielle. Expérimenter des bombes sur ce terrain comme l’envisage le gouvernement fédéral, donc le retour dans la région d’une zone d’essais pour les militaires, amènerait la fin de tout investissement bénéfique. D’ailleurs, les plus anciens en connaissent bien le contrecoup : bruit des avions en rase-mottes, détonations, secousses, etc. Pendant quarante ans, l’Armée rouge usa et abusa de ce terrain de 140 km2. Maintenant, les habitants profitent du calme, et, si leur motivation pour lutter contre le bombodrome tient à des raisons bien terre-à-terre, l’antimilitarisme commence également à y jouer un rôle de plus en plus important.

La FREIe HEIDe s’est créée aussitôt les premières déclarations du ministre de Défense, en 1992, quand il déclara vouloir utiliser le terrain pour des manoeuvres militaires.

Les membres de la FREIe HEIDe ont confiance en l’Église protestante, qui pendant l’ère communiste offrit aux groupes pacifistes et environnementalistes des possibilités de se rencontrer et d’articuler leurs oppositions au régime communiste. Plusieurs politiciens de l’après-RFA sortent directement de cette Église protestante, de même que des évêques et des pasteurs qui plaident depuis quinze ans pour un futur civil des Landes libres. Ainsi, beaucoup d’espoir est placé sur ces gens connus de longue date. Il y a un embarras à les confronter à des actions illégales ou à des alliances avec des groupes radicaux opposés au régime actuel. Pourtant, la confiance des militants a été plusieurs fois trahie : nombre de politiciens les ont abandonnés quand il leur semblait plus opportun de faire passer avant tout leur carrière personnelle. Après quinze ans d’une continuelle protestation, le comité souffre maintenant d’un manque de leaders. Les fondateurs sont morts ou fatigués, et la jeunesse hésite à prendre le flambeau. Pour l’instant, le porte-parole du comité est un pasteur. Son poste de pasteur a été supprimé à la suite d’une diminution générale des cotisations des membres de son Église. Des dons d’un grand nombre de citoyens lui permettent pour le moment de continuer son travail de "pasteur pour la paix".

Une partie du comité, le groupe Neuruppin-Berlin, des jeunes de la région et des libertaires non violents de Berlin, essaient de convaincre la majorité qu’il faudrait maintenant s’orienter vers plus de désobéissance civile et, pour cela, intensifier la coopération avec ceux qui ont l’expérience d’actions directes et non violentes importantes. Si les protestations légales et les démarches juridiques utilisées jusque-là ont fait leurs preuves, elles pourraient, seules, conduire à une impasse. Même l’avocat du comité, qui a pourtant obtenu des jugements défavorables contre l’armée (22 procès dont le dernier en date eut lieu le 31 juillet 2007 devant le tribunal de Potsdam), a déclaré à plusieurs occasions que, si la défense juridique était nécessaire, elle ne pouvait pas être le moyen principal. Finalement, la décision sera politique, mais il faudra créer le maximum de pression parlementaire et surtout extraparlementaire. On ne peut exclure que, en dernière instance, l’armée n’obtienne pas le droit d’utiliser le terrain. Va-t-on arrêter la résistance à ce moment-là ?

La FREIe HEIDe a organisé 106 marches autour et au bord du terrain. En général, on a respecté l’interdiction d’entrer pour un certain nombre de raisons, mais surtout parce que certaines parties des landes ont été rendues dangereuses par la présence d’obus et autres munitions non explosés. Mais cela n’explique pourtant pas l’hésitation à aller plus avant.

Depuis 2004, le groupe Neuruppin-Berlin organise chaque été une semaine de rencontres et d’action pour se préparer à des actions à l’intérieur du terrain occupé par la Bundeswehr. Les Lebenslaute font le spectacle en offrant des concerts de musique classique lors des occupations symboliques des terrains militaires. Une campagne pour l’action s’efforce de rassembler un maximum de groupes et d’individus se déclarant prêts à participer à cette occupation pour le cas où l’armée recevrait l’autorisation d’utiliser le terrain. Il ne s’agit pas d’attendre le dernier moment quand les bombes seront lancées, mais de se préparer dès maintenant pour être présent sur le terrain avant les essais.

Entre-temps, un atelier pour développer des actions s’est installé au bord du bombodrome ; il se nomme la Sichelschmiede

Ses militants apportent une multitude d’expériences tirées des différentes campagnes de désobéissance civile, et qu’ils essaient d’introduire dans le discours de la Bürgerinitiative. De là viennent les « pyramides roses » dressées sur la Lande pour préfigurer les cibles civiles.

L’idée d’utiliser le début du sommet du G8 comme jour d’action antimilitariste en invitant les manifestants qui se rendaient vers Rostock et Heiligendamm a suscité des réactions et mis en lumière de grandes divergences d’opinion dans les rangs de la FREIe HEIDe.

Les uns y voyaient la grande occasion d’attirer des activistes d’autres régions et d’autres sensibilités politiques afin d’élargir l’alliance pour des actions futures, tandis que les responsables de la Bürgerinitiative craignaient que des forces incontrôlables extérieures ne nuisent sérieusement au prestige du comité. Dans une lettre ouverte, ces responsables se sont adressés aux organisateurs de l’action d’occupation symbolique et leur ont demandé de renoncer à la réalisation de leur projet. Ce fut la rupture des relations, le comité prenant ses distances et demeurant silencieux, tandis qu’un regroupement d’antimilitaristes, de libertaires, de chrétiens et de jeunes entrepreneurs de la région (artisans, commerçants, etc.) se mobilisaient pour le jour de l’action, le 1er juin.

Les manifestants trouvèrent à l’arrivée une bonne infrastructure d’accueil et d’entraînement à l’action non violente. Des efforts furent faits afin de tenir informés non seulement les médias mais aussi la police et l’armée pour réduire autant que possible les tensions inutiles causées par une mauvaise information. Le public devait savoir à l’avance dans quel esprit l’action se déroulerait. L’image des lieux de rassemblement était colorée de beaucoup de taches roses : des ballons et des chapeaux en carton dans la même couleur que les pyramides en bois.

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