Pour une société non violente et sans domination
Graswurzelrevolution
Article mis en ligne le 15 août 2023

L’année 1972 a vu l’apparition de Graswurzelrevolution ; son histoire doit être appréciée dans le contexte politique et historique du développement du pacifisme libertaire.

Pendant les années 20, le mouvement anarcho-pacifiste allemand publia de nombreux périodiques comme Junge Anarchisten (Jeunes Anarchistes, 1923-1931) et Die Schwarze Fahne (le Drapeau noir, 1925-1929). En 1933, dès l’accession au pouvoir des nationaux-socialistes, le mouvement fut démantelé. La littérature libertaire antimilitariste, comme Krieg dem Kriege (Guerre à la guerre !), le livre de Ernst Friedrich, fut interdite immédiatement ou brûlée et ne fut redécouverte et rééditée qu’après 1968.

La tradition de l’antimilitarisme libertaire était donc largement tombée dans l’oubli après la guerre de 39-45. Les nazis n’avaient pas seulement tué beaucoup de gens, ils avaient aussi détruit la mémoire. Ainsi le mouvement non violent allemand de l’après-guerre, surtout influencé par le Mahatma Gandhi, ne disposait que de peu de contacts libertaires. Il ignorait l’histoire du mouvement anarcho-pacifiste. Certes, la période de la guerre froide a vu naître dans la République fédérale d’Allemagne un mouvement de masse contre la remilitarisation, le réarmement et l’armement nucléaire, mais l’influence des groupes anarchistes sur le mouvement pacifiste restera encore provisoirement imperceptible. Les activistes non violents de l’Allemagne fédérale des années 50 et 60 étaient dans leur majorité d’orientation chrétienne ou social-démocrate. Ce n’est qu’à partir du milieu des années 60 que des changements sont apparus avec la création des premiers Graswurzelgruppen (groupes de militants de base). Ces groupes étaient influencés dans une large mesure par des militants français(e)s, suisses, britanniques et des États-Unis, ainsi que par les publications de l’Internationale des résistants à la guerre 1. Ils s’inspiraient des « grass roots movements », mouvements de base, « partant des racines ».

En 1965, avec des gens de Hanovre, Wolfgang Zucht 2 fonda Direkte Aktion (Action directe), publication libertaro-pacifiste qui portait en sous-titre « Bulletin pour l’anarchisme et la non-violence ». Polycopié, il fut publié mensuellement en tant que revue théorique et pratique de l’anarchisme non violent. Vers la fin des années 60, Zucht quitta l’Allemagne avec Helga Weber. Ils se rendirent en Grande-Bretagne où, en tant que militants de l’IRG, ils contribuèrent à la création d’un réseau international de militants Graswurzel.3 Lors de leur retour dans leur pays, fin 1974, ils organisèrent le Graswurzelwerkstatt (atelier Graswurzel) fondé à Kassel.

Deux ans auparavant, Wolfgang Hertle 4 avait fondé Graswurzelrevolution en coopération avec des socialistes non violents et des libertaires. Le numéro zéro parut en été 1972 à Augsbourg. La conception et l’orientation de cette nouvelle publication étaient entre autres inspirées par la revue Anarchisme et Non-Violence, par Peace News de Londres et par Direkte Aktion de Hanovre.5

Le premier collectif de rédaction s’inspirait des mouvements existant surtout en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Dans ces pays, les idées du Mahatma Gandhi avaient pris de l’ampleur au cours de la lutte contre la bombe atomique et pour les droits des citoyen(ne)s, et le « grass roots movement » était déjà plus développé.

La rédaction de Graswurzelrevolution déclarait : « Le premier numéro a le défaut de, premièrement, donner plus de nouvelles de l’étranger que de l’Allemagne et, deuxièmement, de ne traiter quasiment que des activités antimilitaristes. » 6

À cette époque, la coopération internationale avec le mouvement non violent hors de la République fédérale fonctionnait mieux que la coopération des groupes allemands entre eux. « « Il faut surmonter votre inertie et faire l’effort de nouer des contacts entre, si possible, tous les groupes de notre orientation, puisque sans ces contacts une coopération est impossible. »

Dès le début, Graswurzelrevolution s’efforça d’élargir et de développer la théorie et la pratique de la révolution non violente. Dans ce contexte, on essayait de ne pas seulement critiquer l’état actuel des choses, mais de « s’organiser aujourd’hui, au moins provisoirement, au plus près de la société que nous souhaitons pour plus tard ».

Un objectif déclaré de Graswurzelrevolution était, et reste, de démontrer les liens entre la non-violence et le socialisme libertaire, et de contribuer à ce que « le mouvement pacifiste devienne libertaire-socialiste, et que le mouvement socialiste-gauchiste devienne non violent dans ses formes de combat ».

Le terme de « Graswurzelrevolution » désigne un bouleversement social profond au cours duquel, au travers du pouvoir de la base, toute forme de violence et d’autorité doivent être abolies.

« Nous luttons pour un monde dans lequel les hommes et les femmes ne seront plus discriminés et défavorisés à cause de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, de leur langue, de leur origine, de leurs convictions, à cause d’un handicap, à cause de préjugés racistes ou antisémites. Nous aspirons à un monde sans hiérarchie où le capitalisme sera remplacé par un ordre économique socialiste auto-organisé et où l’État sera remplacé par une société fédéraliste caractérisée par le principe de démocratie par la base. »

À partir du numéro 53 (1981), le périodique, qui à ses débuts paraissait tous les deux ou trois mois, paraît tous les mois avec une pause en juillet-août et, depuis 1989, avec un supplément de huit pages sur les livres libertaires en octobre. On pratique la rotation des rédactions : Augsbourg (1972-1973) ; Berlin (1974-1976) ; Göttingen (1976-1978) ; Hambourg (1978-1988) ; Heidelberg (1988-1992) ; Wustrow (1992-1995) ; depuis novembre 1995 (n° 202), Oldenbourg. Chaque collectif de rédaction choisit son style de mise en page et la forme de la publication, journal ou magazine. Mais GWR a mis l’accent dès le début sur « une mise en page propre et très réussie où la lecture est un plaisir ».

1 Le tirage est resté assez constant jusqu’à aujourd’hui : en général le chiffre des ventes va de 3000 à 5000 exemplaires. 12 « 5000, lors de l’apogée des protestations contre le réarmement nucléaire. » Lire la suite