Notre culture
Article mis en ligne le 6 août 2023

Quiconque, quotidiennement, fait l’expérience que ce qu’il fait d’une certaine façon il peut le faire d’une autre façon, que ce soit à propos de la cuisine, du bricolage, pour ouvrir une boîte récalcitrante, etc. Tout simplement, il n’y avait pas pensé.

À un niveau supérieur, c’est l’opération que nous avons entreprise en faisant l’exploration d’une non-violence libertaire, ou d’un anarchisme non-violent, ou de la désobéissance libertaire ; il s’agit de traiter de la violence et de la non-violence dans l’anarchisme, étant entendu que les mots peuvent être chargés de plusieurs sens et en changer au cours du temps.

On s’accorde pour dire que c’est Proudhon qui en 1840 donna un sens positif au mot « anarchie ». L’anarchisme est multiple, pluriel : communisme libertaire, anarchisme individualiste, anarcho-syndicalisme, éducationnisme, insurrectionalisme et même anarchisme sans adjectif ; cette dernière position était défendue dès 1890 par Tarrida del Marmol dans La Révolte et se prononçait contre tout dogmatisme et pour la plus grande liberté d’interprétation des fondements communs.

Nous savons que pour le grand public et la presse en général, c’est le côté violent de l’anarchisme qui l’emporte : un événement sans violence est sans intérêt pour le journal quotidien, de même qu’on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure.

Il ne s’agit pas de nier le côté violent de l’anarchisme ; c’est l’histoire ; c’est la réalité ; c’est Ravachol, c’est Émile Henri, c’est la bande à Bonnot ; en 1936, en Espagne, c’est l’insurrection en armes, la militarisation des milices n’en étant que la conséquence ; c’est la Makhnovtchina en Ukraine, etc.

Georges Simenon, dans La Tête d’un homme (1931), écrit à propos d’un de ses personnages : « Peut-être ! Il y a vingt ans, il serait devenu un anarchiste militant et on l’aurait trouvé lançant une bombe dans quelque capitale. Mais ce n’est plus la mode. »

Il n’empêche, cette image de l’anarchiste perdure, et Simenon a contribué à sa propagation par le succès de ses ouvrages.

Mais il y a un côté plus discret de l’anarchisme dont on peut situer la naissance – certains se réclameront d’autres sources – dans le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie qui écrivait à propos des tyrans :

« Et si on ne leur baille rien, si on ne leur obéit point, s ans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien, sinon que comme la racine, n’ayant plus d’humeur ou aliment, la branche devient sèche et morte. »

On pourra ainsi trouver là un propos au plus proche de notre culture pour poser les bases d’une non-violence libertaire, car anarchisme et non-violence s’interpénètrent, l’un conduisant à l’autre et vice versa, en toute logique ; il resterait à développer cette argumentation remettant en cause les idées les mieux installées de tout un chacun.

En attestent l’action et les écrits de Vinoba Bhave, un disciple de Gandhi ; en témoigne un Tolstoï antiétatique.

« Si nous croyons que l’État doit mourir par dépérissement, pourquoi ne serait-ce pas cette année ? », déclarait Vinoba Bhave en 1952.

« Tout gouvernement, à plus forte raison celui qui dispose d’une force armée, est la plus terrible et la plus dangereuse des institutions existantes. » (« Inutilité de l’État », p. 66)

Vinoba Bhave, La Révolution de la non-violence, Albin Michel, 1958.

Léon Tolstoï, Le Refus d’obéissance, écrits sur la révolution, L’Échappée, 2017.