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Le défi politique de la non-violence ; Réponse à Jean-Marie Muller

Bernard Ravenel

vendredi 12 avril 2019, par ps

Lettre ouverte au responsable du MAN qui, dans un texte que nous avons accepté de publier à sa demande [1], mettait en question la stratégie du mouvement national palestinien et la politique de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, de façon "a-historique et dogmatique" sans laisser place au débat politique.

Il faut savoir gré à Jean-Marie Muller, porte-parole du Mouvement pour une Alternative non-violente (MAN) et théoricien reconnu de la non-violence, de s’exprimer sur la question palestinienne à propos de la campagne des « 60 ans » de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine (Plateforme) qui a culminé avec un grand rassemblement le 17 mai.

Le thème de réflexion proposé, le défi de la violence, est d’autant plus important et significatif qu’il est posé à un moment politique marqué par la reprise en Palestine d’une pratique de lutte non-violente contre le Mur. Or cette forme de résistance est accompagnée par les acteurs même de cette action d’une réflexion sur l’importance et la nécessité d’une stratégie d’action non violente comme forme de résistance populaire de masse la plus efficace contre l’occupation israélienne après l’échec annoncé de la négociation d’Annapolis et après l’échec de la deuxième Intifada militarisée. Comme forme de lutte populaire non armée, l’action non-violente est redevenue conscience collective et tend à se transformer en mouvement préfigurant probablement ce qu’on appelle parfois la troisième Intifada. Tel a été le sens de la Conférence internationale de Bil’in de juin 2008 à laquelle d’ailleurs j’ai pu participer en tant que Président de l’AFPS.

Dans un contexte politique exceptionnellement difficile où se trouve le mouvement national palestinien, le débat lancé par Jean-Marie Muller est l’occasion d’une clarification des positions mais aussi d’une prise de position claire sur le mouvement actuellement en construction en Palestine.

Précisons d’emblée que la contribution de Jean-Marie Muller n’a pas pour objectif principal une prise de position sur le mouvement qui se dessine aujourd’hui en Palestine. L’auteur l’évoque à peine en une ligne « L’action non-violente remarquable menée par les habitants de Bil’in constitue un nouvel espoir ». Rien sur la réflexion qui l’accompagne depuis trois ans.

En vérité, l’objet du texte est double : il s’agit d’abord d’une critique fondamentale du programme politique de la Plateforme, accusée successivement de ne pas reconnaître Israël, de ne pas admettre qu’il n’y a pas de solution militaire, d’être complice de la violence palestinienne, d’être solidaire du « meurtre fratricide ». Pour conclure que les exigences politico-programmatiques de la Plateforme, pour justes qu’elles soient, sont « hors de portée » et « irréalistes ».

Il s’agit ensuite d’une critique du mouvement national palestinien dans son rapport à la violence politique. En considérant la violence armée comme « parfaitement improductive » et « inefficace », en affirmant que « depuis des années et des années », c’est-à-dire depuis toujours, « la violence palestinienne pollue la cause palestinienne aux yeux de l’opinion publique internationale », Jean-Marie Muller condamne politiquement et moralement sans appel toutes les stratégies politiques pratiquées jusqu’à ce jour - y compris l’Intifada non armée de 1987 - par le mouvement national palestinien. Une sorte de procès rétrospectif ne laissant place à aucune prise en compte des débats passionnés du mouvement palestinien concernant le rôle politique de l’emploi de la violence armée contre la violence de la puissance coloniale israélienne.

En affirmant d’autre part, sans nuance là non plus, que « le renoncement complet à la violence comme principe politique » par les Palestiniens est une « condition sine qua non », « la seule décision qui changera la donne en Palestine », Jean-Marie Muller ne propose pas de mettre en débat le choix d’une stratégie non-violente. Il le présente comme la condition absolue en dehors de laquelle il n’y a pas de solution politique envisageable.

Par cette double affirmation - condamnation globale de la violence palestinienne passée et exigence du renoncement principiel, c’est-à-dire absolu et irréversible, à la violence comme pratique de résistance - Jean-Marie Muller demande au mouvement national palestinien non seulement une autocritique générale politiquement impossible en l’état actuel, mais même une abjuration de l’histoire de son combat pour le droit à l’autodétermination. Cette démarche a-historique et dogmatique ne laisse aucune place au doute, c’est-à-dire au débat politique.

Ce double procès, en réalité des faux procès, à la Plateforme et au mouvement national palestinien, nécessite des éléments de réponse, pour à la fois repositionner le mouvement de solidarité et le mouvement national palestinien dans leur réalité historique et politique. On ne peut proposer une perspective sans un examen lucide du passé.

Une critique infondée de la Plateforme

Le premier reproche adressé à la Plateforme, comme au mouvement de solidarité en général, porte sur le fait que celle-ci ne tiendrait pas compte du « principe de réalité qui doit conduire à accepter le fait accompli de la présence des Israéliens en Palestine ». Ici l’auteur reprend à sa manière le procès fait par le lobby pro-Israël pour qui toute critique sérieuse de la politique israélienne signifie ipso facto la remise en cause de l’existence de l’Etat d’Israël.

Sur ce point, la position de la Plateforme est parfaitement claire. Constituée en 1993 dans la foulée des accords d’Oslo, la Plateforme, dans sa Charte, s’est située dans la perspective d’une « reconnaissance réciproque des Etats palestinien et israélien ». En 2007, en présentant un questionnaire aux candidats aux élections présidentielles, la Plateforme rappelle qu’elle « se bat pour un accord de paix fondé sur le plein respect du droit international (résolutions des Nations unies, quatrième convention de Genève) permettant la constitution, à côté de l’Etat d’Israël, d’un Etat palestinien libre et souverain avec Jérusalem comme capitale de chaque Etat ».

Pour la Plateforme, Israël a droit à l’existence car il y a effectivité de cet Etat. En fait, la Plateforme ne fait que demander l’application des résolutions de l’ONU.

Deuxième reproche : la Plateforme ne reconnaîtrait pas le « principe majeur » selon lequel « aucune solution imposée par la violence n’est et ne sera possible ». « Ce principe », écrit-il, « n’est pas, loin s’en faut, reconnu par l’ensemble de ceux qui, en France notamment affirment leur solidarité avec le peuple palestinien. » Or, pour la Plateforme, il a toujours été clair qu’il n’y aurait pas de solution militaire au problème tant il est vrai que le rapport des forces, tant au niveau local que régional et international, n’autorise pas une stratégie gagnante de lutte armée par les Palestiniens. Dans une assemblée générale de la Plateforme il y a deux ans, l’analyse de l’échec de l’option militaire de la deuxième Intifada faite à partir d’analyses palestiniennes a été unanimement partagée.

Troisième reproche : à plusieurs reprises, le texte revient sur le fait que le mouvement de solidarité refuse de voir « la responsabilité palestinienne » dans l’emploi de la violence, que ce soit dans leur affrontement avec les Israéliens ou entre Palestiniens. Là aussi, Jean-Marie Muller fait preuve d’une méconnaissance des débats et des positions du mouvement de solidarité. Il y a belle lurette que ce mouvement ne pratique plus la solidarité inconditionnelle d’antan. Ce mouvement a acquis une capacité et une autonomie d’analyse et de positionnement, en liaison étroite avec les organisations de la société civile palestinienne, et en particulier avec les associations de défense des droits humains. Ce mouvement critique quand elles se produisent les violations des droits humains par des Palestiniens. Devant l’aggravation récente du conflit inter-palestinien, le mouvement a d’une part fait connaître les termes du débat tel que présenté par les différents protagonistes, et a d’autre part condamné fermement toutes les méthodes violentes, policières et militaires employées par des Palestiniens contre d’autres Palestiniens (répression parfois meurtrière de manifestations, arrestations arbitraires, etc.) Accuser alors le mouvement de « nier toute responsabilité palestinienne » lorsque « des Palestiniens tuent d’autres Palestiniens », l’accuser d’être « solidaire du meurtre fratricide » et de « faire preuve de malhonnêteté intellectuelle » va au-delà des limites acceptables d’un « dialogue » qui se propose comme « amical ». Lire la suite