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Le meurtre est la question posée
Jean-Marie Muller
vendredi 12 avril 2019, par
Les Palestiniens et Israéliens face au défi de la violence
Je viens de lire attentivement les textes qui présentent la campagne de mobilisation en faveur du peuple palestinien décidée par la Plate-forme des ONG françaises pour la Palestine [1]. Cette campagne devant culminer par un grand rassemblement qui se tiendra le 17 mai 2008 au Parc des expositions de la porte de Versailles. En dialogue amical avec ces ONG, je voudrais tenter d’exprimer quelle est mon analyse de la situation actuelle au Proche-Orient.
Bien sûr, je partage totalement l’affirmation selon laquelle le peuple palestinien a droit à la solidarité de tous ceux qui ont le souci de la justice. Cette affirmation est le socle sur lequel doit être construite notre analyse. Á l’évidence, le peuple palestinien est victime de l’occupation et de la colonisation mises en oeuvre par l’État d’Israël avec la complicité de la communauté internationale. Mais, aujourd’hui, notre analyse doit aussi être fondée sur un autre fait non moins incontestable : aucune solution ne pourra être élaborée sans qu’il soit tenu compte de la présence sur cette même terre de Palestine du peuple israélien. Ceci, non pour des raisons de droit, mais pour des raisons de fait. Du point de vue palestinien, le maintien de l’État d’Israël n’est pas fondé sur la légitimité, mais sur la nécessité. Sans la reconnaissance de cette nécessité, aucune paix ne sera jamais possible. Aussi contestable que soit, en théorie, le principe du « fait accompli », celui-ci est devenu incontestable en pratique. Je n’entre aucunement dans l’argumentation « sioniste », fondée sur des considérants historiques et/ou religieux, pour justifier l’occupation de la Palestine par Israël. Ce ne sont donc pas les exigences de la justice, mais les contraintes de l’histoire qui doivent nous conduire à accepter le fait accompli de la présence des Israéliens en Palestine. Au demeurant, l’idée même que chacun des deux peuples puisse vivre dans un État libre et souverain suppose d’accepter le fait accompli de cette présence. Dès lors, « le principe de réalité » doit s’imposer et permettre de discerner le désirable, le possible et l’impossible. Le drame, c’est qu’il subsiste encore, parmi les Palestiniens, une forte minorité qui refuse toute co-existence avec Israël. Au demeurant, une minorité analogue subsiste également en Israël qui refuse la coexistence avec la Palestine. Aujourd’hui, plus que jamais, ces minorités constituent des obstacles difficilement surmontables pour mener à son terme tout processus de paix. La paix ne sera possible que lorsque Israël aura reconnu toutes les injustices et toutes les souffrances que « le fait accompli » de leur présence en Palestine aura causé aux Palestiniens.
Un autre principe majeur doit fonder notre analyse : aucune solution imposée par la violence n’est et ne sera possible. Il faut accepter ce principe dans toute sa radicalité. Il vaut pour chacun des deux peuples adverses. Israël étant de fait l’agresseur, c’est d’abord à lui qu’il faut demander de cesser de persécuter et d’humilier les Palestiniens. Sans aucun doute, il faut commencer par dire cela aux Israéliens. Il ne faut pas cesser de dénoncer les violations des droits de l’homme qui sont quotidiennement le fait des Israéliens. Mais le fait demeure que la résistance palestinienne s’enferme elle-même dans une impasse pour autant qu’elle croit encore devoir recourir à la violence. Tout débat abstrait sur le droit pour un peuple opprimé de recourir à la violence doit être considéré ici comme hors de propos. La violence ne peut que resserrer le noeud du conflit, alors qu’il s’agit de le dénouer. Or, il nous faut convenir que ce principe n’est pas reconnu par l’ensemble des Palestiniens, loin s’en faut. Et il n’est pas reconnu non plus, loin s’en faut, par l’ensemble de ceux qui, en France notamment, affirment leur solidarité avec la résistance palestinienne. Peu importe, en définitive, s’il s’agit d’une minorité ou d’une majorité, mais le fait est que nombre de Palestiniens affirment la nécessité de recourir à la violence pour faire reconnaître leurs droits face à l’État israélien. J’insiste, la question, ici et maintenant, n’est pas de discuter la légitimité de la violence - même si celle-ci me semble éminemment discutable -, elle est de s’interroger sur l’opportunité politique et stratégique de cette violence. Or le réalisme nous oblige à reconnaître que cette violence est parfaitement contre-productive. In-opérante. Im-puissante. In-efficace. La violence palestinienne ne peut avoir pour effet que de provoquer et de justifier une violence israélienne extrême. Certains ne manqueront pas de répéter que c’est d’abord aux Israéliens de renoncer à la violence de l’occupation. J’en suis parfaitement d’accord. Mais si, par là, on veut signifier que les Palestiniens ne pourront renoncer à la violence qu’à partir du moment où leurs droits seront reconnus pas Israël, dire cela, c’est précisément refuser de voir et de comprendre la réalité.
J’ai reçu beaucoup de mails ces dernières semaines à propos de la situation à Gaza. Chacun comprendra que je suis tout autant que quiconque profondément blessé, meurtri, par la souffrance des Palestiniens de Gaza. Bien sûr, là encore, la responsabilité première est israélienne. Bien sûr. Et elle est majeure. Bien sûr. Mais j’ose dire que c’est en définitive tenir les Palestiniens pour des gens irresponsables, que de refuser de voir la responsabilité palestinienne. Comment s’aveugler au point de ne pas vouloir comprendre que les quelques roquettes artisanales lancées depuis Gaza sur le territoire d’Israël ne peuvent avoir d’autre efficacité que de provoquer un surcroît de violence de la part des Israéliens. La violence n’est pas une fatalité. Elle n’impose jamais d’elle-même ses lois. Mais, dès lors qu’on l’a choisie, ses lois sont implacables. Inflexibles. Accablantes. Cruelles. Féroces. Inhumaines enfin. Je pense qu’il est de la responsabilité de ceux qui entendent affirmer leur solidarité avec les Palestiniens de dire cela haut et fort. Pour nous mettre en règle avec la violence, il faut que la raison prévale sur l’émotion.
Dans un communiqué publié le 20 janvier 2008, l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) affirme : « Les tirs de roquettes artisanales sur Sdérot ne sauraient justifier qu’une population civile toute entière soit prise en otage par un État surpuissant qui refuse depuis 60 ans d’appliquer le droit international. L’AFPS condamne vigoureusement cette escalade criminelle contre les civils palestiniens sans défense. ( ...) Elle demande que cesse immédiatement le siège meurtrier de Gaza. » Une telle déclaration est particulièrement significative. Elle exprime précisément l’erreur d’analyse qui stérilise toute protestation, si indignée et si incantatoire soit-elle, contre la politique en effet inacceptable de l’État d’Israël. En réalité, une telle dénégation constitue un aveu. Dire que « les tirs de roquettes ne sauraient justifier... », c’est reconnaître qu’en réalité, ils justifient... S’il faut dire qu’ils ne devraient pas justifier, c’est précisément parce qu’ils justifient... Et pour priver les Israéliens de cette justification dont ils se prévalent devant l’opinion publique internationale et grâce à laquelle ils bénéficient de l’impunité, il faut cesser les tirs de roquettes. La simple rigueur nous oblige à corriger ainsi la formulation de l’AFPS : « Les tirs de roquettes artisanales sur Sdérot ne sauraient se justifier dès lors qu’ils entraînent inéluctablement la prise en otage d’une population civile tout entière par un État surpuissant. » C.q.f.d. Nous concluons un marché de dupes lorsque, sous prétexte d’être solidaires de la résistance des Palestiniens, nous feignons d’affirmer notre solidarité avec leur violence. S’accommoder de cette violence, ce n’est pas être solidaire de la résistance des Palestiniens, c’est être complice de leur malheur. En définitive, ce n’est pas dans l’espérance de vaincre que les Palestiniens recourent à la violence, mais c’est en désespoir de cause. Nous ne saurions être de connivence avec ce désespoir. L’extrême tragique de la violence palestinienne, c’est qu’elle est un processus suicidaire. Il nous appartient de tout faire pour enrayer ce processus. Sous prétexte de ne pas vouloir désespérer Gaza, on ne veut pas reconnaître et, surtout, on ne veut pas dire que sur le terrain, depuis longtemps, les Palestiniens ont perdu la guerre. Quand la guerre est perdue, il ne sert à rien de vouloir la continuer. Les combats attardés sont déjà perdus. Ceci étant, les Israéliens n’ont pas gagné la paix. Pour cela, il leur faut d’abord reconnaître les droits inaliénables des Palestiniens à vivre sur leur terre.
Par ailleurs, comment analyser ce que le texte de la Plate-forme appelle « les affrontements inter-palestiniens » ? Ceux-ci, est-il affirmé, « ont troublé un certain nombre de militants ». Il ajoute : « Pour dissiper ce trouble, il faut approfondir le débat sur les questions posées. » Ce débat est en effet nécessaire, alors même que certains affirment que les militants de la cause palestinienne ne doivent pas entrer dans un débat qui n’est pas le leur. Tout d’abord, il est sûr que le refus de la communauté internationale, et tout particulièrement de l’Europe, de dialoguer avec les représentants du Hamas après que celui-ci ait remporté les élections libres et démocratiques du 25 janvier 2006 constitue une faute politique majeure. Un tel refus n’a pu qu’enfermer le Hamas dans son idéologie extrémiste. Au demeurant, le Fatah, pour sa part, portait lui-même une lourde responsabilité dans l’échec de sa gestion politique et
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