L’histoire des mouvements non-violents en Allemagne reste à écrire
Wolfgang Hertle
Article mis en ligne le 9 août 2023

La majorité des historiens et politologues établis considèrent les nouveaux mouvements sociaux avec trop de distance et de l’extérieur pour pouvoir les appréhender de manière adéquate et les décrire en les analysant. Cela vaut également pour les responsables des médias et leur perception des courants non violents dans les mouvements écologiques et pacifistes. Même les adeptes de la résistance non violente manquent d’informations (et par conséquent de conscience de soi) sur les effets de leur mouvement sur des contextes sociaux plus larges. L’histoire allemande est encore dominée par l’adaptation et l’obéissance, même si depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu de nombreuses actions qui ne doivent pas être oubliées. Cependant, elles doivent en grande partie être "redécouvertes" et rendues publiques.

Dans les années 70, il y avait la "recherche critique sur la paix et les conflits", qui ne s’intéressait pas seulement à la violence guerrière, mais aussi aux structures qui déclenchent la violence au sein de la société dans laquelle nous vivons. Mais depuis longtemps, il semble qu’il soit désavantageux pour la carrière des chercheurs en sciences sociales de travailler sur de tels sujets dans un cadre académique.

Mais pourquoi devrions-nous laisser la mémoire des actions de résistance non-violente aux scientifiques ?

Gernot Jochheim a un jour demandé aux partisans de l’action non-violente de documenter rapidement la manière dont ils préparent et mènent leurs actions et campagnes. Sinon, il ne resterait pas beaucoup de représentations authentiques pour la postérité. Qui, si ce n’est les acteurs eux-mêmes, devrait s’en sentir responsable ?

Dans les pays anglo-saxons, il n’y a rien de particulier à ce que des personnes qui ont été (ou sont) actives dans les mouvements écologiques, pacifistes ou pour les droits civiques traitent et diffusent ces expériences politiques au cours de leur carrière universitaire ou journalistique. Bien sûr, cela est également dû au fait que, contrairement aux pays anglophones, les traditions non-conformistes sont largement absentes de l’histoire allemande, comme l’influence des Eglises historiques de paix, la réception plus directe des mouvements de libération inspirés par Gandhi en Afrique du Sud et en Inde, les mouvements de droits civiques des années 50 et 60 et les campagnes de désobéissance civile jusqu’à aujourd’hui (1).
Les nationaux-socialistes ont persécuté et tué de nombreux opposants, leurs organisations ont été interdites et, avec leur littérature, la mémoire des mouvements refusant la violence a été en grande partie effacée. Il en va autrement, par exemple, en Grande-Bretagne, où la revue Peace News (2) est publiée depuis 1936. On y trouve naturellement, à côté des thèmes actuels, des rappels des activités des décennies précédentes. L’engagement à vie n’y est pas rare, pourquoi les actions de désobéissance civile plus risquées devraient-elles être réservées aux plus jeunes ?

Comparé à une conscience aussi fière de s’inscrire dans une tradition, le peu de conscience de soi des groupes non-violents en Allemagne est frappant. Ici, les succès sont oubliés, le mouvement se perçoit à peine lui-même. Comment peut-il alors se présenter à l’extérieur comme une alternative forte ? .

Il n’est donc pas étonnant que les médias ou les chercheurs en sciences sociales ne perçoivent ici que la "pointe de l’iceberg", il manque l’intérêt pour l’engagement de nombreuses personnes "sans nom", les "difficultés des niveaux" ne se prêtent pas à des reportages sensationnels ou à une historiographie orientée sur des individus célèbres. Il n’est pas facile de retracer le quotidien peu spectaculaire des phases entre les temps forts des mouvements. Mais les pics, c’est-à-dire lorsque, en temps de crise, de grandes parties de la population se joignent aux minorités qui mettent en garde, n’existeraient pas si un nombre relativement restreint de personnes ne maintenaient pas avec persévérance et modestie l’infrastructure et les idées de base des mouvements de protestation et alternatifs.

Écrivons nous-mêmes la ou les histoires de notre mouvement.

Une sorte d’"alphabétisation" sur l’histoire du mouvement non-violent doit commencer par ses partisans. Elle ne doit pas se limiter à l’histoire des associations ou à quelques personnes connues. Il est important de commencer par retrouver les traces oubliées et de les présenter de manière vivante.
Une tâche immense mais passionnante, vous êtes invités à y apporter votre contribution.

Il existe quelques textes de synthèse rédigés par des militants de la phase initiale du mouvement non-violent, par exemple par Helga et Konrad Tempel : Anfänge gewaltfreier Aktion in den ersten 20 Jahren nach dem Krieg ou des témoignages personnels comme celui de Reiner Steinweg (Ein Leben gegen Gewalt), mais beaucoup de choses restent non éclairées et demandent à être examinées et décrites plus en détail. Enfin, des sites web personnels comme ceux de Helga et Konrad Tempel, Reiner Steinweg et Theodor Ebert.

Pourquoi Theodor Ebert mentionne-t-il à peine les travaux préparatoires de Theodor Michaltscheff et de Nikolaus Koch ? Ce dernier avait par exemple déjà utilisé en 1951 dans l’important ouvrage "Die moderne Revolution- Gedanken der gewaltfreien Selbsthilfe des Deutschen Volkes" le terme "gewalt-frei" (qu’Ebert utilisa plus tard pour le distinguer du terme "gewalt-los", moins fondamental) ?
Depuis 1987, il existe à Hambourg le site Archiv Aktiv - Auswertungen und Anregungen für gewaltfreie Bewegungen. Elles sont encore peu utilisées et soutenues par le mouvement non-violent et la recherche sur le mouvement, surtout si on les compare à des archives comme la Swarthmore College Peace Collection au sein d’une université fondée par des quakers près de Philadelphie ou la collection sur la paix, la politique et le changement social à l’université de Bradford (GB).

A titre d’exemple, voici quelques grands blocs thématiques des Archives actives :
Gertrud Westhoff (1900-1987) a cédé à Archiv Aktiv sa collection de correspondance et de matériel imprimé couvrant un large spectre du mouvement des femmes, de la paix et de la protection de l’environnement, des années 50 au milieu des années 80. La rédaction de Graswurzelrevolution, les campagnes de désobéissance civile et le mouvement non-violent en France y ont ajouté beaucoup de matériel des années 70 et suivantes. Il en va de même pour les archives complètes de la résistance de Mutlangen.